Note de lecture « Le mage du Kremlin » de Guliano dA EMPOLI
Ce roman retrace la carrière du fameux « spin doctor » du Kremlin qui a quitté ses fonctions après avoir en quelque sorte porté Vladimir Poutine au pouvoir.
L’auteur, essayiste politique, nous livre dans cet ouvrage un éclairage passionnant et instructif sur la Russie éternelle, des tsars de l’ancien régime en passant par le communisme et le libéralisme effréné suite à la chute du rideau de fer, pour en arriver au régime actuel celui du « nouveau tsar ».
L’auteur illustre la conception de la politique en Russie, qui s’articule comme dans toute société autour de deux axes, l’axe horizontal de la proximité et du quotidien et l’axe vertical, celui de l’autorité. A la différence qu’en Russie l’excès d’horizontalité a conduit au chaos, aux fusillades en rue, à la banqueroute de l’état et l’humiliation internationale. Après Eltsine les russes nourrissaient un désir de verticalité que Poutine est venu incarner …. avec l’aide de son conseiller. Pour l’auteur la demande des russes à l’état se résume à l’ordre à l’intérieur et la puissance à l’extérieur.
Le livre offre aussi un éclairage intéressant sur la société russe. S’appuyer sur les passions populaires en Russie ne sert à rien, à la fin celui qui gagne appuie toujours son pouvoir à tous les niveaux sur l’institution. L’élite russe est unie par un fond commun de misère, que chacun de ses membres a traversé avant d’arriver à l’opulence, ce qui génère un mouvement d’incrédulité de sa part. Cependant on n’échappe pas à son destin, on peut tout inventer, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même, au sommet il y a les « chiens de grade du tsar ».
Un autre aspect traité est celui du rôle et de l’influence du conseiller en démocratie autoritaire. Au départ ce conseiller était metteur en scène et producteur d’émissions télévisées dans une chaîne appartenant à un oligarque. Ce dernier encourage le personnage du livre « à créer la réalité plutôt que de se consacrer à la fiction » et le met au service de Poutine chef du KGB que l’oligarque Bérénovsly a choisi pour remplacer Eltsine.
Pour le conseiller artiste, metteur en scène, il ne s’agissait pas de soutenir quelque chose qui existe déjà mais d’inventer quelque chose et quelqu’un qui n’existait pas encore : le personnage de Poutine….. il ne s’agissait pas de remporter une élection mais de construire un monde.
La révolution orange de Kiev en 2004 aurait, selon l’auteur, convaincu Poutine qu’après l’annulation des élections en Ukraine, s’il laissait passer sans réagir la « subversion orange » le prochain objectif serait lui .
En réaction les russes ont changé de méthode, contrairement aux occidentaux qui cherchent à réduire autant que possible l’incertitude, les russes ont compris que le chaos était leur allié et leur atout. Les bureaucrates prévisibles du KGB ont été remplacés par les hackers et les mercenaires.
Leur stratégie est d’envahir les réseaux sociaux découvrir quels sont les thèmes auxquels les gens croient les convaincre davantage en donnant des vrais comme des faux arguments : défenseurs des animaux black power ou suprématistes blanc, chasseurs ou écologistes, élections… peu importe.
Que cette intervention soit découverte, elle renforcera le mythe de la puissance russe ! Il s’agit de faire de la Russie la machine à cauchemars de l’occident.
Le livre finit sur une vision sombre mais à mon sens réaliste de l’avenir politique :
Dans chaque révolution il y a un moment décisif, celui où la troupe se rebelle contre le pouvoir et refuse de tirer !
Mais le jour où la sécurité et la force d’un régime sera garantie par des instruments qui n’ont pas la possibilité de se révolter contre lui…. ce sera le pouvoir dans sa forme la plus absolue
Les californiens ont étendu la surveillance sans limite de nos existences qui sont devenus sources d’informations…. aujourd’hui pour générer des profits demain pour exercer le contrôle le plus implacable que l’homme ait jamais connu ?
Par ailleurs les risques de sanitaires et écologiques sont devenus sans limites et à la portée de structures très modestes, laboratoires voire individus. En réponse l’humanité réclame la sécurité et bientôt à n’importe quel prix. L’infrastructure technique est prête, de commerciale elle deviendra politique et militaire.
On a longtemps cru que les machines étaient l’instrument de l’homme, il est clair qu’aujourd’hui les hommes sont l’instrument de l’avènement de la machine…. à quand un sommet remplacé par un robot ? interroge l’auteur.
Illustration intéressante sur la Russie de Poutine, ce livre pose aussi une interrogation fondamentale sur l’avenir de nos démocraties libérales face à la montée de l’intelligence artificielle et ses conséquences sur les libertés publiques. L’exemple chinois est à ce sujet révélateur et inquiétant, de même que la montée déjà perceptible du besoin de sécurité qui favorise l’antilibéralisme, dans le monde et en Europe en particulier.