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Union européenne : l’oubli du Sud, par André BELLON

André BELLON, ancien député

Le texte ci-dessous a été publié par la Revue politique et parlementaire.

Union européenne : l’oubli du Sud

« Faire l’Europe pour la paix », « consoliderle couple franco-allemand », renforcer l’ « unité européenne »… autant de slogans qui occupent le débat public depuis des années… et qui fondent notre vision imaginaire du monde.

Mais au-delà des slogans, qu’est-ce que l’Europe ?

Sur le plan géographique, c’est la péninsule occidentale qui jouxte le continent asiatique. Pensée ainsi, elle ne peut s’analyser, d’une part, que par rapport à ses frontières orientales et aux menaces qui pèseraient sur elle, en particulier en relation avec la Russie et, d’autre part, par son intégration à l’Ouest, c’est-à-dire sa soumission aux États-Unis. On se refuse alors à voir à quel point elle perd tout rapport avec le Sud, particulièrement en une période où le Sud acquiert un rôle géopolitique éminent. Les régulières crises migratoires en provenance d’Afrique ne suscitent pas de véritable prise de conscience géostratégique.

Sur le plan historique, l’Europe n’a aucun récit commun, tout au plus celui des conflits temporaires et limités dans leur espace. La saga largement diffusée depuis la chute du mur de Berlin d’un continent « enfin réunifié » est purement idéologique et ne correspond à aucune réalité historique. Elle est utilisée ad nauseam pour légitimer le renforcement des institutions de Bruxelles et l’extension de l’Union vers l’Est. Le seul élément fédérateur est l’unité du marché, destructeur des fondements démocratiques et d’une véritable vie politique.

On ne mesure généralement pas à quel point cette construction, censée nous ouvrir un espace de paix et de prospérité, nous a également enfermés. Si la nature idéologique de cet enfermement est parfois évoquée et donne lieu, non sans raison, à tout un débat sur « une autre Europe », si la soumission de plus en plus nette aux intérêts américains est légitimement critiquée, bien peu de voix s’élèvent pour constater et contester l’enfermement géographique que constitue l’espace européen ainsi pensé, en particulier pour la France. Il est grand temps de voir à quel point l’Union européenne nous sépare de la méditerranée et, plus largement, de l’Afrique.

Le tropisme du fameux couple franco-allemand a conduit les gouvernements français, en particulier sous la présidence de François Hollande, a ignorer les appels au secours de la Grèce soumise aux intérêts économiques allemands. La France a oublié trop longtemps les conséquences de l’avancée de l’Otan en direction de la Russie et de l’éloignement de la Turquie de l’espace européen. Partagée entre quelques reliquats des réflexes colonialistes et des discours béats de repentance, elle est incapable de penser sa relation à l’Afrique autrement qu’en termes étroitement sécuritaires, avec pour sanction finale ultime d’en être chassée piteusement. Y a-t-il encore une politique étrangère de la France ? La question est posée ; en tous cas elle n’a plus qu’une politique méditerranéenne de façade, enfermée qu’elle est dans une Union essentiellement préoccupée par sa frontière Est et par la vision stratégique des Américains.

L’Europe se trouve à un tournant. Les illusions qui ont accompagné l’unité de façade face à la Russie en 2022 et les incantations sur le « moment géopolitique » que vivrait l’Union, ont vite été dissipées par les tensions économiques liées à l’inflation et la multiplication des crises internationales. La volonté d’un « sursaut fédéraliste », passage en force souhaité par une poignée de dirigeants européens,  ne peut qu’accentuer ces dérives. Retrouver la volonté des nations et des peuples n’est pas un obstacle au renforcement de l’Europe ni le risque d’offrir un boulevard à l’extrême-droite, mais au contraire, en brandissant l’étendard de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une nécessité pour lui redonner souffle devant un monde qui bouleverse les équilibres qui prédominaient jusque-là.

André Bellon

Ancien Président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

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