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Séminaire du 25 mars 2024 sur « les modes de scrutins » – intervention de David COMET

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Le scrutin proportionnel aux élections législatives par David COMET :

Le choix du mode de scrutin aux élections législatives est crucial et s’inscrit dans un
débat sur les Institutions de la Ve République.
Les conséquences sont nombreuses, sur la fidélité de la représentation nationale à la
diversité des sensibilités politiques présentes dans le pays et sur la formation de
majorités de gouvernement stables.
Le scrutin proportionnel permettrait, pour certains députés, de représenter
fidèlement l’étendue des opinions, mais il serait accusé, pour d’autres, de créer les
conditions de l’instabilité gouvernementale, ce qui semble abusif car l’association
entre proportionnelle et instabilité n’est pas validée par l’expérience.
Tous les pays de l’Union Européenne (à l’exception de la France) disposent d’un
scrutin législatif proportionnel ou mixte et ils mettent en œuvre des stratégies de
coalitions de gouvernement afin de gouverner durablement.
Ce débat existe depuis les débuts de la République en France.
Comment doit-on désigner les élus de la nation ?
l’Assemblée doit elle représenter fidèlement le corps social avec un scrutin
proportionnel ou assurer au pays une majorité stable de gouvernement ?
En tant qu’ancien député, il est exact de relever les défauts de représentativité de
notre scrutin et être en accord avec l’analyse de Michel Winock : « il est certain
qu’aujourd’hui le scrutin est non seulement injuste mais aussi dangereux, en un
sens, puisqu’il alimente la revendication, les protestations, la manifestation. Il
alimente la demande de représentation plus équitable »
Historiquement, sous la IIIe République, le scrutin proportionnel n’a été que
brièvement utilisé entre 1924 et 1928.
Sous la IVe République, l’expérience de la proportionnelle n’a réellement prévalu
qu’entre 1946 et 1951 (après 1951 elle est dénaturée par le système des
apparentements) et on ne peut lui reprocher d’avoir entraîné l’instabilité
gouvernementale.
L’expérience du scrutin proportionnel intégral en 1986 n’a pas empêché la formation
d’une majorité absolue RPR – UDF qui a gouverné sans difficultés.
Enfin, les élections législatives de 2022 ont mis en lumière le fait que le scrutin
majoritaire n’aboutit pas nécessairement à une majorité absolue à la chambre,
même à la suite d’une élection présidentielle.
I / UNE REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE
La question de la représentation parlementaire implique de noter qu’elle s’est
imposée dans toutes les grandes démocraties, en vertu du principe de la
souveraineté nationale.
Les députés expriment un intérêt général de manière collective et spontanée en tant
que représentants d’une nation abstraite, en toute indépendance vis à vis des
différents groupes qui forment la société.
Néanmoins, comment les citoyens peuvent ils désigner des candidats aux qualités et
connaissances requises pour faire un bon député et proches de leurs préoccupations
et intérêts ?
Comment concilier la volonté qui s’exprime dans l’instant de l’élection et l’intérêt
général qui doit faire l’objet de politiques de long terme ?
Ces interrogations, laissées sans réponse pertinente, incitent les citoyens à y
apporter une sanction.
La crise de la représentation peut s’interpréter comme un retour au réel ou de la vie.
Le réel se rappelle quand l’urgence du présent vient supplanter la représentation.
Au cours des dernières années du XIXe siècle se développe dans l’ensemble des pays
européens un mouvement ample en faveur de la RP.
Sa finalité est d’obtenir que le Parlement, en raison de son mode d’élection, soit le
reflet le plus fidèle possible du peuple qu’il est sensé représenter et que chacune
des tendances idéologiques qui se manifestent soit représentée au sein des
assemblées en proportion des suffrages obtenus.
L’idée de RP est la fille des partis et de la statistique; son développement s’inscrit
dans celui de la croyance en la capacité de la science à rationaliser la politique.
Les différents modes de scrutins proportionnels ont tous pour objectif d’aboutir à
une certaine proportionnalité entre les sièges obtenus et les suffrages recueillis par
un même parti.
La représentation proportionnelle de type classique suppose le scrutin de listes et
son fonctionnement correct nécessite des circonscriptions assez vastes avec chacune
4 ou 5 députés au moins.
Dans chacune des circonscriptions, chaque parti dépose une liste comportant autant
de noms qu’il y a de sièges à pourvoir.
Lors du dépouillement on détermine le quotient électoral qui est le résultat de la
division du nombre de suffrages exprimés par le nombre des sièges à pourvoir.
(100000 suffrages exprimés pour 10 députés : le quotient électoral est de 10000).
On divise ensuite le résultat obtenu par chacune des listes par ce quotient et le
nombre entier résultant de cette division détermine le nombre de sièges attribués à
chaque liste.
Il reste la question de la répartition des restes.
Celle-ci peut s’opérer après report au plan national de l’ensemble des sièges non
pourvus et des voix non représentées. Il s’agit de la RP intégrale, créant une
catégorie de députés sans attache territoriale.
Soit on répartit les restes dans le cadre des circonscriptions d’origine et il s’agit de la
RP approchée.
La répartition des restes peut s’opérer soit au plus fort reste, les sièges restant à
pourvoir étant attribués aux listes totalisant le plus grand nombre de suffrages non
représentés. Ce système crée un avantage marqué pour les petits partis.
Le système de la plus forte moyenne, quant à lui, exige de longs calculs et avantage
au contraire les grands partis.
En mars 1986, en France, le mode de scrutin était clairement semi-proportionnel
puisque la répartition proportionnelle s’effectuait au niveau départemental et non
national. Par conséquent, cette répartition ne jouait que sur un nombre limité de
sièges, ce qui plaçait nécessairement le quotient électoral à atteindre pour participer
à la répartition assez haut et donc privilégiait les principaux partis. De plus, un seuil
de 5% des suffrages exprimés était appliqué pour limiter les participants au partage
des sièges dans les départements les plus peuplés où le quotient électoral serait plus
faible.
La proportionnelle départementale limita la victoire en siège de la droite et assura
l’entrée à l’assemblée de l’extrême droite que le scrutin majoritaire aurait écartée de
la représentation.
En Charente, le 16 mars 1986, 4 députés se sont fait élire dans le cadre du scrutin
proportionnel par liste départementale à un seul tour et ont été élus 2 députés PS et
2 députés RPR-UDF. (L’élu député PS de Charente en 1986, que j’interrogeais
récemment sur ce mode de scrutin, m’indiquait néanmoins l’existence de certains
écueils : une moindre légitimité de l’élu et reconnaissance de celui-ci par certains
citoyens et une latitude moins grande d’être en désaccord sur certains points avec
son parti).
La représentation proportionnelle (I) correspond à un idéal de justice accru (II)
II/ POUR PLUS DE JUSTICE
La question de la représentativité des élus est une question centrale qui fait débat. Il
est ainsi impossible de parvenir à une représentation « miroir », fidèle à l’opinion et
à la démographie, ou reproduction « en miniature » de la société, en passant par
l’élection (et sans passer par le tirage au sort). En effet, la probabilité d’exercer un
pouvoir politique est fort si on occupe une position élevée dans la hiérarchie sociale.
La compétition électorale confirme un processus de sélection déterminé par les
positions sociales et un recrutement déterminé par les cadres du parti. Représenter
ses électeurs c’est les amener à se reconnaître en soi.
Sur la question du mode de scrutin qui nous occupe ici il s’agit d’une contrainte
majeure qui façonne fortement la perception du système politique et le rapport à
celui-ci.
Le mode de scrutin conditionne le comportement du député et le rôle de celui-ci
sera différent s’il s’agit d’un scrutin de liste ou uninominal.
Si la représentativité des députés n’entraîne pas une Assemblée nationale en miroir
parfait de la société, il est néanmoins stratégique d’envisager les déformations
spécifiques afin de comprendre quels groupes sociaux se distinguent et deviennent
députés.
Si le principe est l’égalité des citoyens devant l’accès aux responsabilités publiques,
les hommes de plus de 50 ans, provenant plutôt du secteur public et issues des
classes sociales protégées, étaient particulièrement surreprésentés historiquement.
Le décalage entre la population des députés et le reste de la population française
était ainsi et sur une longue durée particulièrement probant. « Un pays invisible »
n’était traditionnellement pas représenté : celui des professions intermédiaires,
employés et ouvriers, soit l’ensemble des activités les moins qualifiées.
En période de majorité de droite, la part des fonctionnaires et des professions liées à
l’enseignement recule au profit du secteur privé dans son ensemble et inversement,
la proportion des députés provenant du secteur public croît quand les forces de
gauche progressent ou remportent les élections.
La population des députés appartient en grande partie à l’élite sociale du pays.
Depuis 2017, nous pouvons noter une évolution et une recomposition du paysage
politique qui s’appuie sur une fragmentation de l’électorat, loin des positions de
classe et une combinaison complexe de variables liées à la vie individuelle. Les
députés sont tout de même peu représentatifs. Certes le renouveau s’est traduit par
une plus grande parité entre les femmes et les hommes, par l’arrivée également de
« novices » mais Étienne Ollion a bien démontré dans son livre « les candidats.
Novices et professionnels en politique » que tous ces élus avaient contourné la « file
d’attente » qui s’était constituée devant eux.
Si la professionnalisation politique des candidats peut paraître faible, leur
recrutement social est néanmoins très étroit et sélectif. Le fait de recruter les
candidats dans le milieu de l’entreprise privée ou des professions libérales fait qu’en
2017 nous avions à faire avec l’Assemblée nationale la plus élitiste de la Ve
République.
Les femmes, si elles sont électrices et désormais élues, sont loin néanmoins d’une
parité réelle quand on regarde précisément.
L’évolution de la présence des femmes à l’Assemblée nationale a longtemps été
synonyme d’exclusion : 5% en 1945, 1,6% en 1958, 9,6% en 1997.
En 1999, suite à la révision constitutionnelle voulue par le président Jacques Chirac
et le premier ministre Lionel Jospin, la parité est adoptée à l’unanimité moins une
abstention.
Le 8 juillet il est ajouté à l’article 3 de la Constitution : « la loi favorise l’égal accès des
femmes et des hommes aux mandats et fonctions ».
La révision constitutionnelle qui fait obligation aux partis de favoriser cette égalité
permet en 2000 l’adoption d’une loi qui rend obligatoire l’égalité des candidatures
pour le scrutin de liste.
Pour les élections législatives, qui sont uninominales, l’égalité est facultative. Le parti
présente 50% de candidats de chaque sexe sinon il devra payer une amende
(réduction de son financement public). L’efficacité du dispositif est amoindri, pour
les élections à scrutin uninominal, par les partis qui préfèrent assumer de payer une
amende plutôt que de présenter plus de femmes.
Ainsi, on n’atteint pas la parité à l’Assemblée nationale même si la proportion de
femmes en 2017 est de 38,8%. Mais en 2022 ce chiffre est passé à 37%…
CONCLUSION
Une dose de RP devient démocratiquement indispensable et, tout en restant fidèle à
l’esprit de la Ve République, permettrait d’éviter les effets par trop pervers du
système d’affrontement majoritaire.
Il n’en demeure pas moins que les barrières à l’accès au champ politique sont
élevées et (sauf en 2017) rien ne pourrait permettre de contourner l’attente
imposée. La « file d’attente » qui se constitue est ainsi un premier principe de
sélection qu’il est difficile de contourner.
La modification du mode de scrutin pour les députés devrait sans aucun doute
s’accompagner d’une actualisation des textes juridiques relatifs aux droits et devoirs
d’un parti politique.
La modification du mode de scrutin serait également susceptible de créer les
conditions d’un contrat de gouvernement avec négociation et compromis entre
plusieurs partis qui acceptent de gouverner ensemble, dans une logique
proportionnelle de système de coopération.
Ce sujet est d’autant plus d’actualité que, Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de
l’Assemblée nationale souhaite mettre cette proposition de RP en débat.
Celle-ci estime que la majorité présidentielle n’a qu' »en partie » tenu sa promesse
d’un renouveau démocratique.
Un projet de loi pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace
avait été présenté le 9 mai 2018 en Conseil des ministres.
Sur une Assemblée réduite à 404 députés (au lieu de 577), 61 auraient été élus à la
proportionnelle sur une liste nationale, les 343 restants élus au scrutin majoritaire
dans le cadre de circonscriptions redécoupées.
Suite à l’affaire Benalla ce projet a été abandonné.
Néanmoins, pour la présidente de l’Assemblée, qui ne propose pas de revenir à la
copie de 2018, le système mixte de la proportionnelle permettrait aux forces
politiques d’être « mieux représentées dans leur diversité » et celle-ci de plaider pour
une réforme sans « redécoupage électoral » qui « préserve l’échelon départemental ».
« Comme au Sénat, les parlementaires seraient élus sur des listes à la
proportionnelle, dans les départements les plus peuplés – ceux où sont élus 11
députés ou plus », tandis que « le scrutin majoritaire serait maintenu » dans les autres.
Avec cette « introduction d’une dose de proportionnelle », « 152 députés sur 577
seraient désignés à la proportionnelle, soit 26% d’entre eux ».
Les discussions sont ainsi ouvertes et un deuxième scénario évoqué avec 36% de
députés désignés à la proportionnelle.
La Présidente souhaite déposer un texte de loi ordinaire fixant comme objectif
« d’aboutir d’ici au début de l’année 2025 ».
Or, qu’aurait donné ce système mixte s’il avait déjà été instauré ?
la majorité aurait été la grande perdante du passage à la proportionnelle dans les 11
plus grands départements …
Sur le temps long, Il convient néanmoins de regretter que le mode de scrutin
législatif soit considéré comme un instrument légitime du combat politique et que le
consensus soit si faible sur les règles de la vie politique en France