Le problème des nationalités, c’est quoi les nations en Europe ? par Guy MALHERBE
Le débat sur l’Europe et celui qui s’engage avec l’élection européenne porte sur les nations, mais c’est quoi une nation en Europe, sinon une zone géographique délimitée par des frontières tracées par des diplomates et qui ont servies de base à des traités de paix.
Ces frontières tracées ne correspondent nullement à « la libre détermination des peuples » formule la plus répandue » qui a trouvé la faveur de certains peuples qui les contestent et pour certains les ont récemment redessinées.
Le président Woodrow Wilson a été le plus grand protagoniste de cette formule , « du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes « , en 1918, il s’agissait pour lui de prolonger la guerre le temps nécessaire de faire émerger cette détermination des peuples, afin de faire l’économie de guerres futures (…) , et de la conduire jusqu’au moment où les belligérants seraient obligés de reconnaître un remaniement de la carte de l’Europe , conforme au principe des nationalités ,enfin pour la première fois respecté.
Quand on connaît la suite de l’histoire peut être n’avait-il pas tout à fait tort, même si on ne peut que déplorer la guerre. A quelle nationalité correspondait la Tchécoslovaquie que les accords de Munich croyant sauver la Paix et permettre à l’Europe de souffler dans la cadre d’une politique « d’apaisement » où le pacifisme est largement répandu dans les puissances occidentales , ont acte la cession des sudètes au profit du IIIe Reich sacrifiant ainsi la République de Tchécoslovaquie, pourtant reconnue par le Traité de Saint Germain en Laye en1918, et ceci après l’annexion de l’Autriche , mais avant l’invasion de la Pologne en septembre 1939. Et la Yougoslavie ? et le partage de l’Allemagne ? Où est le peuple Rom partagé entre la Hongrie et la Roumanie ? Le peuple Ukrainien composé de russes, polonais, austro-hongrois ? Et la nationalité espagnole, est-elle catalane, basque, ou marocaine pour l’Andalousie ? Les provinces du Nord de l’Italie sont-elles italiennes ou autrichiennes, l’Autriche a reconnu, tout récemment, la double nationalité aux italiens qui les peuplent et leur a accordé un passeport autrichien. Voilà des italiens qui se voient attribuer, en quelque sorte, une deuxième nationalité du fait du pays voisin autrichien. En France, l’Alsace et la lorraine, que nous nous sommes disputée avec les allemands, et qui conserve aujourd’hui encore le droit prussien hérité de Bismarck dans de nombreux domaines de la vie économique et sociale ou religieuse avec le Concordat, et les deux Savoie ou le Comte de Nice rattachés à la France à la fin du XIX siècle.
Ainsi, quel État européen peut-il dire qu’il est une nation répondant à la libre détermination des peuples? En fait, des populations d’Europe centrale n’ont cessé de changer d’Etat au grès des accords diplomatiques et des guerres, modifiant les frontières en ignorant le fait que la Bohème, la Moravie, la Slovaquie, la Ruthenie, la Silésie incluent des minorités, voire parfois des majorités, de populations des territoires voisins et de culture différentes qui sont les vestiges d’un empire multiculturel et multi-ethnique.
Nous avons vu comment certains États nés de ces traités ont éclaté, et ont été recomposé. Ce fut d’abord la réunification des deux Allemagne. Ensuite, c’est la Tchécoslovaquie qui s’est partagée entre la Tchéquie et la Slovaquie. Puis la Yougoslavie communiste qui a explosée violemment, à la suite d’une guerre, impliquant des États extérieurs et l’ONU, entre la Croatie, la Serbie, avec son Kosovo et sa Woivodine, la Bosnie-Herzegovine, la Macédoine, et le Montenegro.
Ce fut aussi des contestations nationalistes fortes, en Espagne avec le séparatisme terroriste basque, puis catalan dans une royauté au régime régional pourtant très prononcé et que seul la dictature franquiste avait tenue. Les contestations régionales entre les provinces italiennes du Nord et celles du sud, là aussi dans un État qui a réalisé son unité seulement à la fin du XIXème siècle et pourtant très régionalisé. En Belgique aussi le régionalisme flamand et wallon est vif, le Roi assure l’unité du fédéralisme belge. L’Allemagne créée autour de la Prusse, reconnaît sa diversité avec un régime fédéral fort et des Landers dotés de pouvoirs très importants. La France a connu ses périodes de contestations régionales et de séparatisme avec les Bretons, les Basques, et encore maintenant avec les Corses qui réclament un statut spécial reconnu dans un Titre particulier au sein de la Constitution et que semble-t-il, on serait prêt à lui accorder. Pour cela, il faudra modifier la Constitution dans son article 1er « la France est indivisible… » et son article 3 « La souveraineté nationale appartient au peuple.
Aucune section du peuple…ne peut s’en attribuer l’exercice. ». La création de collectivités territoriales élues accompagnée d’un transfert de pouvoirs, une décentralisation du pouvoir central, a été jusqu’à présent une réponse à ces revendications. Enfin, l’Union européenne reconnaît avec ses politiques régionales la diversité des États au risque parfois de nuire à leur unité, ce fut le cas avec la Catalogne et les régions italiennes du Nord.
A ses problèmes de frontières, il faut compter aussi avec les langues parlées par les peuples européens qui sont d’origines diverses, grecques, latines, slaves, et arabes qui dépassent le strict cadre des États. La langue slave est parlée dans l’Union européenne par les polonais, les serbo-croates, les macédoniens, les slovaques, les tchèques, les slovènes, et les bulgares, et surtout dans les églises où elle peut être la langue liturgique, soit près de 100,0 millions d’européens. Certains de ces pays utilisent l’alphabet latin, d’autres l’alphabet cyrillique. Les bosniaques qui sont musulmans ont renoncé à l’alphabet arabo- persan pour adopter l’alphabet latin. Les hongrois parlent une langue dérivée des langues ouraliennes pratiquée aussi par quelques communautés hongroises minoritaires dans les pays voisins. En Espagne, il existe une langue nationale, le castillan, mais le basque, le catalan, le galicien et le valencien ont été reconnus comme langues co-officielles par le Parlement en 2011. Ces langues marquent très profondément la vie politique, économique, culturelle et sociale de l’Espagne et de leurs communautés parlementaires et gouvernementales régionales. La Belgique compte aussi trois langues officielles : le néerlandais, le français, et l’allemand pratiquées par les communautés flamandes, françaises, et germanophones dotées chacune de son propre parlement et gouvernement. En France, le Breton et ses racines celtiques revendiquées pour être enseigné dans les écoles, le basque, une langue en soi parlée dans le monde, le catalan partagé avec la catalogne espagnole, la langue corse revendiquée comme attribut de l’autonomie, le niçois, l’occitan, l’allemand en Alsace, le provençal. Le latin a été, il y a encore peu de temps, la langue « officielle » universitaire. Jusqu’au début du XXème siècle, les thèses universitaires étaient rédigées et soutenues en latin. Jean Jaurès a soutenu sa thèse latine en 1892 à La Sorbonne « De primis socialismi germanici lineamentis » laquelle a été traduite aussitôt par la Revue socialiste avec pour titre « les origines du socialisme allemand ».
Sans compter aussi que l’Europe comporte deux grands clivages avec les trois grandes confessions du christianisme, les religions catholiques, protestantes, et orthodoxes qui ne relèvent pas de la même autorité quand elles en ont une. Une ligne de fracture qui sépare une Europe du Nord protestante, d’une Europe du Sud catholique et une ligne de fracture plus méridienne avec les orthodoxes, allant des pays baltes à l’Europe du Sud- Est (1). Si ces coupures ne sont plus aussi majeures qu’elles ne le furent, sauf en Irlande du Nord, elles n’ont pas variées toutefois depuis le XVIème siècle et se maintiennent aujourd’hui. Elles influencent malgré tout encore fortement les comportements économiques, politiques et sociaux culturels. Il suffit d’observer le regard porté par chacun des Etats sur les décisions financières et économiques prises par l’Union européenne et les débats que ces décisions entraînent entre les gouvernements. L’Allemagne foyer majeur du protestantisme mais aussi foyer majeur d’une politique économique et financière européenne dite « austère » ou « frugale ». La Pologne, la Hongrie, l’Autriche, foyers de traditions catholiques mais aussi foyers d’opposition à certaines décisions sociétales européennes. Les polonais se souviennent que l’église catholique les a sauvé du communisme.
Fausse symétrie toutefois car si l’église catholique présente peu de différences d’un Etat à l’autre, elle obéit à un même pouvoir supranational, celui du Pape, le protestantisme apparaît lui multiple, c’est une réalité multiforme qui porte en germe le débat et la différenciation. Le protestantisme est malléable et multiforme, alors que le catholicisme est unitaire et plus enraciné dans la tradition. Il existe plusieurs courants dans le protestantisme, et les princes les ont utilisés pour assoir leur pouvoir, parfois sa survie dépendait en partie de l’appui que lui donnait les détenteurs du pouvoir politique. Les églises protestantes ont ainsi souvent joué un grand rôle dans l’affirmation des États -nations, dans lesquelles elles se sont moulées. Mais d’une manière générale, la compétition entre les religions a incité les églises à rechercher l’appui des pouvoirs politiques. Le compromis d’Augsbourg, en 1555, met provisoirement fin à cette lutte d’influence en définissant un modus vivendi : le partage de l’Europe est fondé sur la religion du Prince, à laquelle devront obligatoirement adhérer les sujets : « tel roi, telle religion ». Mais, la réalité a été plus complexe.
En France, les pouvoirs ont eu des relations difficiles avec les religions, avec les protestants et la révocation de l’Edit de Nantes, mais aussi avec les catholiques et le pouvoir de Rome. Après avoir été tenté de créer sans succès un église gallicane soumise au pouvoir royal, à l’image des anglais, le Concordat de 1801 signé par le Gouvernement de Napoléon Bonaparte avec le Saint Siège, a institué une organisation des cultes étendue aux réformés calvinistes et luthériens, dits de la confession d’Augsbourg, et en 1808 au culte israélite, il est toujours en vigueur en Alsace-Moselle. Enfin, la loi de 1905 proclame la liberté de conscience et pose le principe de séparation des Églises et de l’Etat. Depuis en France, l’Etat est neutre à l’égard des religions. L’Etat est laïc, expression très souvent utilisée pour le caractériser mais qui ne figure pas dans la loi de 1905.
En Italie, où la capitale est aussi le siège de l’église catholique, le vote catholique n’a plus aucune influence politique, alors qu’il était le pilier central du traditionnel parti centriste italien de l’ex démocratie chrétienne. La victoire des mouvements populistes a bouleversé le paysage politique. Alors que l’église catholique romaine s’ouvre au monde par l’élection du premier pape latino-américain, premier pape jésuite, la politique italienne se referme dans une protestation nationaliste et provinciale.
En Espagne, depuis la démocratisation de 1978, les relations églises-Etat sont fondées sur un système de laïcité, mais la même loi prévoit qu’une relation de coopération peut être établie entre l’église catholique et l’Etat. Elle accorde une place privilégiée à la religion catholique dans une Espagne qui a connu pendant très longtemps deux autres cultes juifs et musulmans très bien implantés, et l’inquisition qui a servi à constituer l’unité du royaume avec des rois catholiques. Tolède a accueilli un concile catholique, a appartenu au califat de Cordoue et a été un lieu de rencontres entre les savants des trois grandes religions chrétienne, juive et musulmane. Al- Adalus, Andalousie actuelle et certains territoires du Sud de la France jusqu’à Poitiers furent à un moment de leur histoire sous domination musulmane et connurent un épanouissement culturel qui lui valut le titre de « civilisation originale ».
Mais les religions ne respectent pas toujours les frontières des États, dont certains sont pluralistes ou bi- confessionnels comme l’Irlande et l’Allemagne, avec les conséquences politiques parfois très violentes qui surviennent en Irlande pour résister à « l’occupant »ou qui entraînent des particularismes politiques régionaux dans le Sud de l’Allemagne où les catholiques dominent. Le découpage intervenu en 1945 avait renforcé considérablement les catholiques en République fédérale, où ils ont pu faire jeu égal avec les protestants, et même accéder aux fonctions dirigeantes de la République fédérale avec le chancelier Adenauer. L’Allemagne orientale était, elle, très majoritairement protestante, elle a donné une chancelière, fille de pasteur, à l’Allemagne réunifiée imprimant une façon de gouverner faite de simplicité et de modestie et une politique de style protestant. L’Allemagne est un État laïque mais la politique religieuse allemande se caractérise par un évitement du conflit et la peur de discuter même si des voix s’élèvent pour réclamer un débat ouvert, contradictoire et sans tabou sur les religions et la politique. Aux Pays-Bas, où la religion perd de son influence, le parti catholique a fusionné avec le parti protestant en 1977. La Tchéquie, la Slovénie, l’Autriche et la Hongrie sont majoritairement catholiques mais rassemblent les communautés minoritaires protestantes les plus importantes de l’Europe centrale.
L’Europe du sud-est avec la Bulgarie, la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Roumanie, le Monténégro, l’Ukraine, la Bosnie – Herzégovine, rassemble majoritairement des populations de confession orthodoxes, mais aussi musulmanes dans certains états de l’ex- Yougoslavie , ce lien confessionnel peut expliquer les liens politiques passés avec la Russie orthodoxe . Durant la crise financière grecque, Moscou a proposé son aide à la Grèce par l’intermédiaire des églises orthodoxes.
Ainsi, quel État européen peut-il dire qu’il est une nation répondant à la libre détermination du peuple?
Alors, face à un tel patchwork de groupes humains qui n’a pas toujours la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun, une langue, une religion, c’est quoi une nation ? Difficile à dire. Le tissu qui fait tenir ensemble une société est un tissu fragile, et pas seulement dans les États dits fragiles.
(1) minoritaire dans les pays baltes , Lituanie, Finlande. Europe du sud-est avec la Bulgarie, la macédoine, le Monténégro, la Serbie, la Roumanie, la Grèce, la Bosnie – Herzégovine. En France on compte 1,3 millions d’orthodoxes.