Démographie implacable : un chemin inconnu et dangereux pour la démocratie menacée par la gérontocratie, mais qui pourrait accompagner la transition écologique.(*) par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne
Cette note de synthèse traite un sujet qui n’est pas uniquement hexagonal. La démographie est implacable, le fait de vivre longtemps à la retraite, combiné à un effondrement de la fécondité, rend de nombreux équilibres sociaux et financiers, difficiles à soutenir et ouvre un chemin dangereux et inconnu pour la démocratie.
Nous n’avons jamais rencontré de sociétés dans laquelle les personnes âgées sont, et deviennent, plus nombreuses que les jeunes, alertent des démographes. Pour la première fois, nous sommes rentrés dans ce siècle avec quatre générations. Alors que le monde académique a depuis relativement longtemps intégré la baisse tendancielle de la fécondité mondiale et ses conséquences en terme de dynamiques démographiques au seuil du XXIIe siècle, les responsables politiques et médiatiques, semblent se focaliser sur des temporalités, plus courtes, des représentations plus catastrophiques et des injonctions aussi volontaristes que limitées.
Plus de la moitié des bébés nés en 2024 vivront plus de 100 ans et verront l’an 2124 et les prochains JO de Paris. Aujourd’hui, rares sont ceux qui ont vécu les JO de Paris de 1924 comme notre collègue Jean Turco, ancien député, qui a eu l’immense honneur de porter la flamme des JO de Paris 2024 lors de son passage à l’Assemblée nationale le 14 juillet. Depuis les années 50, l’espérance de vie augmente d’un an tous les cinq ans. En même temps, le taux de fertilité baisse partout dans les pays du G20. D’ici à 2060, l’OCDE estime que tous les pays du G20 auront un taux de natalité inférieur à celui nécessaire au renouvellement des populations, et la longévité aura augmenté de quatre ans, la population aura baissé de 25 millions au Japon, 12 millions en Allemagne, plus de 4 millions en Italie qui sera le pays le plus âgé d’Europe, et 300 millions en Chine. Cette tendance est aussi universelle, et irréversible pour certains pays comme l’Italie, même si l’ampleur et le rythme de son déploiement sont différenciés, comme cela est observable, en particulier en Afrique subsaharienne.
La France, quant à elle, fait un déni démocratique. Pourtant, la France vieillit et fait moins d’enfants que par le passé. En 2023 son taux de natalité est tombé à 1,68 enfants par femme, contre 1,79 en 2022, alors qu’il s’élevait à 2,03, en2010, et a 3 après la seconde guerre mondiale. C’est le niveau le plus bas depuis 1993-1994. Il faut s’en inquiéter.
Aujourd’hui ,les vieux sont tendances, le vintage est à la mode (1), mais ce vieillissement démographique est un chemin dangereux et inconnu (2), qui résonne avec des sentiments d’angoisse civilisationnelle (3) bouscule les rouages de notre démocratie, (4),de notre régime social français (5), et la croissance de notre économie (6), pour relever ces défis il faudrait engager un pari sur le pouvoir des seniors en construisant un avenir inclusif et performant (7), ou encore pour y remédier en faisant voter les bébés, une mesure de prime abord farfelue mais qui fut débattue à certaines époques (8). Enfin, si la démographie a fait la puissance d’un pays, d’une nation, le fait-elle encore aujourd’hui ? (9) mais, peut-elle accompagner la transition écologique en cours pour sauver la planète ? (10).
##. 1. Aujourd’hui, les vieux sont tendances, le vintage est à la mode.
Les seniors sont tendances et entraînent des changements de style de vie, de l’ensemble des générations. Le vieux est à la mode et il représente une ressource irremplaçable pour l’économie.
La quantité fait la qualité, 21 % de la population dépasse les 60 ans, elle influence l’ensemble de la société, l’économie, la consommation, la culture, le tourisme, le mode de vie, les imaginaires sont bousculés. La silver économie, la senior culture dépassent largement les frontières de l’âge. Les seniors influencent le marché. De plus en plus d’entreprises ont compris la puissance des seniors et adaptent leur offre en conséquence. Globalement, 56 % de la consommation individuelle est le fait des plus de 50 ans, un jouet sur trois est acheté par un retraité, l’âge moyen pour l’achat d’un véhicule neuf est exactement de 55,3 ans. Les seniors font les tendances, car ils consomment et recherchent n’ont pas des produits de « vieux », ou au contraire, des produits qui « font jeunes », mais des réponses à leurs modes de vie, leurs envies, leurs usages.
Le confort d’accessibilité, la facilité d’utilisation, la sécurité, le prix, la longévité sont des critères majeurs. Le marché des 14 millions de séniors de plus de 65 ans ne se limite pas à des couches, des montes-escaliers, des déambulateurs, des bracelets d’alarme. Ils consomment les produits du quotidien, alimentation, loisirs, culture et activités physiques, des objets pour la maison revisités pour être adaptés à l’âge et que les jeunes générations utilisent aussi. Certains enjeux, comme la sécurité sont largement structurés par la nouvelle donnée démographique. Avec la fragilité physique d’une plus grande partie de la population, des enjeux de sécurité, violences, agressions, arnaques prennent de plus en plus de place en raison de leur visibilité renforcée par les médias et exploitée par certaines sensibilités politiques qui en font leur fonds de commerce. C’est un des ressorts qui explique la progression du vote Rassemblement national chez les seniors.
Après avoir inventé la Jeunesse en 1968, les nouveaux seniors réinventent la vieillesse, parfois aux côtés de militants écologistes radicaux plus jeunes. Parmi les Gilets jaunes, il y avait beaucoup de Gilets gris. Fini papy pantoufle, mamie jardin. L’âge rajeunit et les seniors sont des acteurs sociaux, en particulier, sur le plan local, faisant évoluer la consommation, la ville, l’habitat, les transports, les sports, les médias et les réseaux sociaux. Les seniors, aujourd’hui, ne ressemblent pas à leurs aînés au même âge. Les seniors de 2024 ne sont pas les mêmes que ceux de 2004, encore moinsde1954. Il dispose de plus de temps en bonne santé pour influencer les autres et prendre une place importante dans la société. Avoir 65 ans aujourd’hui, c’est comme avoir 45 ans il y a 70 ans. Il suffit de voir le nombre de têtes grises qui foulent le macadam pour courir les marathons et de regarder les pratiquants de club de gymnastique, de yoga ou de marche nordique.
Le senior d’aujourd’hui à l’expérience de vie et les capacités cognitives et physique d’un jeunot de 45 ans de 1954. Si à 1960, on entrait à l’EHPAD à 75 ans aujourd’hui c’est à plus de 85 ans. En 2031, il y aura 5 millions de plus 85 ans, contre 600 000 en 1980. Ces générations ne ressembleront pas à celles qui ont précédé. Les générations « j’ai droit » vont remplacer les générations « Je dois ». Il faut penser les années restant à vivre pour cette population âgée en les adaptant car les 75 ans ne vivent pas de la même façon selon que l’on vit en ville ou à la campagne. Les « vieux des campagnes » ne vivent pas comme « les vieux des villes ». Il y a 1000 façons de vivre son avancée en âge.
##. 2. Mais ce vieillissement démographique est un chemin dangereux et inconnu.
La véritable inquiétude de notre époque n’est pas tant le vieillissement, qui est positif : les gens vivent plus longtemps et avec une qualité de vie plus élevée que par le passé. Le problème est la diminution du nombre de jeunes. La société politique a toujours fonctionné en s’appuyant sur une large base d’une population jeune, les démocraties sont nées de cette manière. Le dynamisme de ces populations jeunes est nécessaire pour la société, il pousse à penser le présent dans une perspective d’avenir. Aujourd’hui, elles ne sont plus qu’une minorité démographique qui risque de devenir une minorité sociale, bénéficiant de moins d’investissements collectifs et de moins de poids politique. Le risque est de voir miner les fondements de l’Etat providence, de la société intergénérationnelle. C’est un chemin dangereux et inconnu qui se présente devant nous et peut nous conduire à un blocage de la société.
C’est une situation nouvelle. Historiquement, on ne programmait pas les enfants, mais ils arrivaient ; la fécondité était élevée et compensait la forte mortalité infantile.
Aujourd’hui, la fécondité a chuté et on investit dans la « qualité « des enfants plutôt que dans la quantité. Ce pouvait être une bonne chose mais le concept a été poussé trop loin : dans la phase actuelle, le nombre moyen d’enfants est souvent insuffisant pour arriver à remplacer la génération précédente. Nous n’avons jamais rencontré de sociétés dans lesquelles les personnes âgées étaient plus nombreuses que les jeunes. Nous n’avons pas d’exemple pour comprendre comment cela modifie les dynamiques de la démocratie.
Seule, l’Italie est à l’avant-garde de ce phénomène. Dans le débat public transalpin, on souligne la nécessité de redresser la démographie pour des raisons de soutenabilité des finances publiques, des services publics et de la dynamique du marché du travail. Le gouvernement de Georgia Meloni a reconduit certaines politiques pour la famille et a introduit une diminution des cotisations pour les mères à partir du deuxième enfant. Mais elle insiste sur les aspects culturels de la situation italienne : « Aucune intervention concrète n’est suffisante si l’on ne change pas le discours qui, pendant des années, a dit qu’avoir un enfant compromettrait vos rêves, votre réalité et même votre beauté « à t elle déclare dans un débat sur la transition démographique. Elle considère la natalité comme un sujet identitaire et la famille comme une institution en péril. Elle minimise le facteur économique dans le déclin de la population : » Les racines de cette crise ne plongent seulement dans l’économie, mais dans les sables mouvants d’une culture désormais très répandue d’hostilité à la famille. Il y a encore quelques décennies, on faisait des enfants même en temps de guerre ou lorsque l’on vivait dans la pauvreté «. L’autre aspect de son combat porte sur la GPA dont elle envisage de faire légiférer pour rendre la pratique « crime universel « en donnant la possibilité aux tribunaux italiens de condamner les italiens qui y ont recours à l’étranger.
L’Allemagne a connu un début de chute démographique dans les années 2010 mais a compensé la réduction du nombre de jeunes par l’amélioration de leur formation et de leur insertion au marché du travail. Elle a attiré des jeunes de pays européens et extra européens, et investit dans leur formation pour les intégrer dans le tissu social et économique en offrant des opportunités adaptées attirant les jeunes migrants qui sont en mesure de choisir la ou les conditions sociales et d ‘emplois sont les meilleures
##. 3. Ce vieillissement de la population résonne avec des sentiments d’ angoisse civilisationnelle corrélée à la marginalisation économique et géopolitique croissante de l’Occident.
Depuis le XIXe siècle, à partir des théories de Malthus, jusqu’à aujourd’hui, un discours, c’était imposé autour des termes « d’explosion démographique » , de « bombe démographique », et de « surpopulation ». Plus récemment, et, en sens inverse, l’accent est mis sur le ralentissement de la fécondité et le vieillissement par des récits catastrophistes servis par un lexique très connoté, instrumentalisé, et dominé par des expressions, telles que « déclin démographique », « bascule démographique », » hiver démographique » , « effondrement, démographique voire « grand remplacement » qui appellent à des solutions passant par le « réarmement démographique » et « la fibre patriotique ».
Aujourd’hui, c’est le discours de l’effondrement démographique et civilisationnel qui s’installe progressivement, lequel est associé à des valeurs largement remises en cause : démocratie, égalité, femme-homme, droits humains, immigration.
En matière de démographie, le vocabulaire a toujours un rôle important qui dépasse les données objectives pour traduire des représentations d’ordre politique et sociétales.
##. 4. Ce vieillissement de la population bouscule les rouages de notre démocratie.
Le corps électoral a pris un coup de vieux. Le baby-boom d’après-guerre, s’est transformé en papy-boom qui bouscule les rouages de la démocratie libérale.
La démocratie, c’est la majorité, et la majorité, c’est la démographie. Le vieillissement des électeurs rebat, les cartes électorales.
Le vieillissement démographique, est-il en train de faire basculer notre démocratie dans une forme de gérontocratie ?
La gérontocratie est le « gouvernement des vieillards ». Or la nature du pouvoir est déterminée par l’âge des électeurs et non celle des élus. La gérontocratie est un système politique et social dominé par des classes âgées qui exerceraient une influence politique supérieure aux autres. Aujourd’hui les plus de 50 ans détiennent la majorité absolue des 49 millions d’électeurs en âge de voter que compte la France. C’est la première fois, dans notre histoire politique qu’ils franchissent ce seuil symbolique, les moins de 30 ans ne représentent plus qu’environ 17 %. Ils étaient respectivement, 39 % et 24 % en 1995. Le poids des électeurs de plus de 50 ans relatif aux moins de 30 ans et passé du double au triple en 25 ans, ils sont donc trois fois plus puissants. Ils pèsent d’un poids décisif dans les élections.
Les élections se gagnent donc en allant chercher les votes des « seniors » dont le poids électoral et renforcé par un taux de participation considérable systématiquement plus fort que les autres classes d’âge. Arithmétique électorale et démographie s’accordent pour dire que la démocratie française se gérontocratise. Certains y voyaient l’avènement d’une sagesse, d’une paix gériatrique, d’une baisse de la violence politique. Ce n’est pas ce que l’on observe en ce moment.
En politique, comme partout ailleurs, l’offre répond à la demande. Il devient donc plus rentable de répondre aux préoccupations des électeurs âgés, majoritaires, et mobilisés qu’à celle d’une jeunesse minoritaire et boudeuse des urnes. La tentation est grande de prioriser, les intérêts des vieux au détriment des autres, ce qui réduit l’horizon politique des décideurs à des mesures cour-termistes. D’où une tension entre les intérêts du présent et ceux de l’avenir.
Avec la baisse de la natalité et le vieillissement, le risque démographique n’est pas prêt de disparaître. Alors, comment préparer l’avenir et regarder loin devant quand l’horizon des électeurs vieillissant se réduit comme jamais ? Cela nécessite du courage des élus pour réactiver le réflexe selon lequel chaque génération doit œuvrer à un monde meilleur pour la suivante plutôt que de lui léguer des dettes et des crises. L’homme politique pense à la prochaine élection, l’homme d’État, à la prochaine génération, disait Churchill.
##. 5. Ce vieillissement de la population peut-il tuer notre modèle social français ?
Notre modèle social carbure à la démographie, c’est ce qui le rend si sensible à ses moindres évolutions.
L’instauration en1945 d’un régime de sécurité sociale obligatoire a transformé l’État en un producteur et organisateur de solidarité régissant le partage des efforts entre les générations qui se succèdent. Son financement repose majoritairement sur les cotisations sociales, et par le principe de répartition il finance aujourd’hui les besoins des générations d’actifs d’hier. Le fonctionnement de cette machine a transfert entre générations dépend étroitement d’une structure équilibrée de la population pour faire correspondre des capacités et des besoins de financement, de tous les âges.
Cette machine était très performante sur les premières décennies de son lancement. Le financement de la sécurité sociale était indolore pour des actifs très nombreux dans une France rajeunie avec peu de personnes âgées à prendre en charge qui partaient de surcroît à la retraite à 65 ans sans faire de vieux os.
Aujourd’hui, la situation s’est inversée. La démographie s’est retournée. Les baby-boomers partent massivement à la retraite depuis le début des années 2000, Gonflant comme jamais l’effectif des retraités. Ils sont 18 millions aujourd’hui et seront 22 millions en 2070. À cet effet de masse s’ajoute l’effet de longévité, ils vivent beaucoup plus longtemps, grâce à une espérance de vie décuplée. L’effectif des cotisants ne parvient pas à suivre le rythme imposé par ce grand vieillissement, la population active estimée aujourd’hui à 30 millions devrait cesser de croître, sur les prochaines décennies, à moins d’être compensée par d’importants flux migratoires comme en Allemagne.
La pérennité de notre modèle social est aujourd’hui mise à mal par ce redoutable effet de ciseaux démographique : la population active ne progresse plus, et risque de décliner, tandis que l’effectif de retraités et en train de grimper en flèche. En d’autres termes, il y a toujours moins d’actifs jeunes pour financer toujours plus d’inactifs âgés. Alors qu’il y avait encore quatre cotisants pour un retraité dans les années 1960, ce ratio est tombé à deux pour un dans les années 2000, puis à 1,7 aujourd’hui. En 2070, il ne devrait rester plus que 1,4 cotisant pour financer la pension d’un retraité. Les capacités de financement de notre modèle social se retrouvent ainsi contraintes au moment où les dépenses de retraite et de santé vont croître comme jamais, sous la pression d’une population vieillissante. D’ici 2050, les plus de 60 ans représenteront un tiers de notre population. Priorisées comme paramètres d’ajustement, les cotisations vieillesse atteignent aujourd’hui des niveaux tellement élevé qu’elles amputent le niveau de vie des actifs, dévalorisent la valeur travail et renchérissent d’autant plus son coût. Plus la France vieillit plus les actifs trinquent.
Malgré la réforme des retraites de 2023, le régime général redevient déficitaire dès 2024, et ce, chaque année jusqu’en 2070, c’est ce que prévoit le conseil d’orientation des retraites dans son dernier rapport. Faute d’être résorbé, les déficits présents et futurs des branches vieillesse et maladie de la sécurité sociale vont continuer à faire les beaux jours de la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) avec un encours de 150 milliards d’euros à fin de 2023. Plus la France vieillit, plus ses comptes publics rougissent.
Encore plus épineuse que celle des retraites, la question de la prise en charge de la dépendance est le nouveau défi lancé par la démographie a notre modèle social. Vivre plus longtemps, à des âges impensables crée un risque de dépendance auquel nous n’avons jamais été collectivement confronté. La perte d’autonomie des aînés est une nouvelle forme de handicap que beaucoup de famille ne peuvent plus assumer. Pour la première fois dans notre histoire, nous sommes rentrés dans le XXIème siècle avec quatre générations en vie dans de nombreuses familles. Elles se retournent vers un système de santé lui aussi dépassé pour offrir un cadre adapté aux 3 millions de personnes âgées en perte d’autonomie que compte déjà la France. À partir de 2030, les besoins de financement vont exploser, ils sont évalués à environ 80 milliards d’euros qui ne sont pas budgétés.
Le vieillissement de la population et la raréfaction des jeunes dans l’économie, nous force à réfléchir à l’élargissement du financement de la sécurité sociale, au-delà du travail et un meilleur partage des efforts entre les âges pour rééquilibrer une solidarité intergénérationnelle qui n’a plus grand chose de solidarité tellement elle est mise à mal par une pyramide des âges qui n’a plus rien de pyramidal.
En 1991, Michel Rocard, avertissez: » ne rien faire aujourd’hui, conduirait à terme à la condamnation de la répartition et à la rupture des solidarités essentielles. Ne rien faire conduirait à subir une augmentation inéluctable des prélèvements sociaux à la charge des ménages et des entreprises, réduisant en même temps, le pouvoir d’achat, espéré par des actifs, pesant sur la capacité d’épargne des ménages et des entreprises, mettant finalement en péril la compétitivité de l’économie. Au lieu de l’entendre, la France fait un déni de démographie, espérant régler ces problèmes par des mesures conjoncturelles avec le retour magique de la croissance. Persévérer dans cette illusion, risque de définitivement transformer notre modèle social, en une machine antisociale, grande fiction, par laquelle les générations d’aujourd’hui, s’efforcent de vivre aux dépens des futures générations. Et il créa la CSG pour financer par l’impôt notre système social, en utilisant le 49-3 assimilé aujourd’hui à un coup d’Etat.
##. 6. Ce vieillissement de la population peut-il, aussi, affecter la croissance économique ?
Les différents canaux par lesquels le vieillissement démographique affecte, la croissance sont plus compliqués que l’intuition, moins d’emplois, moins de croissance ne le suggère. Le vieillissement de la population conduit assez intuitivement à une moindre croissance directement en réduisant la force de travail et indirectement, en affectant des comportements d’épargne, d’investissement et d’innovation. Les investissements changent de qualité avec la démographie. Le vieillissement rend plus conservateur, l’épargne des populations inactives semble aller vers des investissements moins risqués dont moins innovants. Les populations vieillissantes qui sont détenteurs d’une épargne importante préfèrent s’assurer des rendements, peut-être moins élevés de leur épargne, mais plus sûr pour compléter leur retraite, l’investissement l’immobilier notamment, les investissements dans les technologies innovantes, plus risqués par nature, sont alors moins importants contribuant et peuvent contribuer au ralentissement de l’innovation et de la productivité.
Enfin, le cadre institutionnel joue un rôle important. Lorsque le nombre d’emplois diminue et que moins de personnes contribuent à la production, la croissance du revenu du pays ralenti et pèse sur les recettes de contributions sociales. La fiscalité, alors nécessaire pour financer le système de sécurité sociale: retraite, soins de santé, notamment, mais aussi dépendance devrait augmenter privant ainsi l’économie productive de ressources qui seraient utilement investies dans l’économie, notamment, les nouvelles technologies.
Toutefois, des économistes montrent qu’il n’y a pas de corrélation systématique entre l’évolution du PIB et l’évolution de la structure démographique d’une cinquantaine de pays où la population croissante de robots joue un rôle crucial. Ce constat est intuitif : les robots remplacent des travailleurs manquants et rendent le travail plus productif. Les robots peuvent utilement effectuer des tâches, notamment pénibles à la place des travailleurs manquants. L’adoption de robots se trouve principalement dans des activités industrielles de production qui manquent de main-d’œuvre expérimentée. Les robots permettent bien sûr de pallier ce manque de travailleurs mais ils accroissent aussi la productivité. Ces économistes observent que l’adoption des robots a été plus rapide en Corée, en Allemagne, au Japon, trois pays à la démographie plus vieillissante qu’aux États-Unis ou en France.
L’autre politique économique serait de favoriser l’immigration, sujet politiquement difficile, comme le fait l’Allemagne qui perd 400 000 travailleurs par an avec le déclin démographique, et l’Italie qui en perd 150000. En France, la population n’a pas baissé en2023. Les décès restent moins nombreux que les naissances. Aujourd’hui, sans changement pour la fécondité, ni pour le solde migratoire, les progrès contre la mort se poursuivant il n’y aurait pas de diminution de la population, elle serait même plus importante, mais avec une population plus âgée et inactive à l’horizon 2070.
Les gains de technologie et donc de productivité, une immigration adaptée, et surtout une inclusion plus performante des seniors dans le monde des actifs doivent nous permettre de maintenir la croissance nécessaire, le modèle social et compenser le vieillissement de la population.
##. 7. Pour relever ces défis, il faudrait engager un pari sur le pouvoir des seniors en construisant un avenir inclusif et performant. Aider les seniors contribuerait à nous aider.
Comme cela a été dit, il existe dans le pays un groupe possédant un pouvoir particulier, les seniors. Ils pèsent un poids décisif dans les élections par leur nombre et leur taux de participation et ils représentent aussi une ressource importante pour l’économie, une force d’appoint pour des entreprises confrontées à la pénurie croissante de main d’œuvre qualifiée. La contribution des seniors retraités pourrait bien être la clé pour combler les besoins en compétences et assurer la transmission des savoir-faire. Ils constituent une réelle opportunité pour les entreprises et l’économie. Leur intégration active dans l’économie est essentielle pour maintenir la dynamique et la compétitivité.
Les seniors retraités constituent un vivier de talents pour la transmission des compétences fortes de leur expérience rare notamment dans des secteurs à haute technologie. Une expertise acquise par des années de pratique et d’adaptation aux réalités du terrain et de son évolution. Ils peuvent contribuer à l’innovation, trouver des solutions inédites et proposer des perspectives novatrices grâce à une longue carrière riche et variée.
Ils sont aptes à orienter les jeunes générations et assurer la transition et le développement des compétences par le partage d’expériences et le dialogue intergénérationnel. Les seniors peuvent faciliter l’intégration des jeunes et leur montée en compétences.
En outre, la possibilité pour les seniors de rester actifs contribuerait à leur équilibre de vie, à leur santé physique et mentale. Conserver un lien social renforcerait le sentiment d’utilité et favoriserait un vieillissement actif et épanouissant qui faciliterait la transition vers la retraite.
Reconnaître et valoriser leur apport serait un bienfait économique mais aussi social pour relever les défis du vieillissement démographique auxquels notre pays est confronté, mais aussi sociétal en construisant ensemble un avenir inclusif et performant. Ainsi, aider les seniors contribuerait à nous aider.
##. 8. Ou, alors, faut-il faire voter les bébés comme ce fut déjà débattu à certaines époques.
Que voulez-vous, les retraités votent, pas les jeunes ! C’est vrai, mais que faire?
On n’arrivera pas à des avancées sérieuses sans un rééquilibrage entre les générations. Si la gérontocratie s’installe peu à peu en Europe et en France. Par le simple effet du vieillissement des populations, la démocratie lui laisse la place sans véritable solution à proposer : le poids politique des générations ne fait que produire la réalité démographique d’un pays.
Lors de la présidentielle et des législatives de 2017, des enquêtes de l’INSEE sur la participation ont montré que les baby- boomers de 58 à 75 ans, étaient pour 95 % inscrits sur les listes électorales contre seulement 85 % pour les 19-32 ans. Cet écart de 6 % s’est creusé quand il s’agit d’aller voter ; 50 % des baby-boomers ont voté aux quatre tours des élections de 2017, contre seulement 20 % des 18 35 ans.
Alors que faire ?
Une solution politique, très audacieuse, serait de faire voter les bébés !
Cette mesure, farfelue de prime abord, est prise très au sérieux au Japon, et a même été très discutée en France notamment en 1920 par l’Assemblée nationale sans jamais aboutir à un projet de loi. Le ministre de l’hygiène et de l’assistance sociale militait en faveur du vote familial en déclarant : « le pays n’est que trop menacé. La dépopulation le ronge, voulons-nous enfin adopter les remèdes qui le sauveront ? Instituons alors le vote familial, cette grande réforme qui est la clé de toutes les autres » Elle part d’un constat évident : beaucoup de décisions prises concernent la prospérité future de générations nouvelles.
Au Japon, par exemple, les jeunes n’ont aucun poids sur la vie politique de leur pays car ils sont moins nombreux également moins mobilisés que leurs aînées comme c’est le cas dans les pays développés. À peine 2 millions de jeunes japonais entre 20 et 24 ans votent, alors qu’au même moment 8 millions de personnes entre 60 et 64 ans, et que plus de 8 000 000 de plus de 75 ans ont voté lors des dernières législatives de 2020. Une solution a été lancée dans le très influent quotidien, le Nikkei, afin d’éviter la maîtrise et le contrôle des scrutins par les Japonais âgés : ainsi des parents auraient un droit de vote double jusqu’à ce que leurs enfants atteignent 15 ans. Ce type de scrutin familial existe, en France au sein du Mouvement familial, Union nationale des associations familiales, en application du code de l’action sociale et des familles.
L’idée n’est pas absurde tant il est nécessaire de penser la question démographique. En donnant plus de voix aux parents des familles nombreuses, cela obligerait les élus à penser le long terme, à sauver notre régime social et la croissance économique créatrice de richesses et de ressources nouvelles pour financer les dépenses de la gérontocratie.
##.9. Si la démographie a fait la puissance d’un pays, d’une nation, le fait-elle encore aujourd’hui ?
« Il n’est de richesses que d’hommes « disait le philosophe Jean Bodin. Ainsi, la démographie fit la puissance de la France. Pendant des siècles, notre pays a dominé le continent européen grâce à sa nombreuse population surtout à son apogée diplomatique sous Louis XIV, alors que la Hollande et l’Angleterre étaient plus riches et plus industrieuses, mais notre pays comptait 22 millions d’habitants en 1700, quand la Hollande plafonnait à 2 millions et le Royaume Uni a 7 millions.
Les débats sur la puissance sont parmi les plus classiques de la science politique. L’équation masse égale, horde, égale, puissance, égale, invasion, a marqué des siècles d’histoire : les hordes barbares, les hordes de Gengis Khan, le péril jaune, la cinquième colonne, aujourd’hui, le grand remplacement. On craint d’autant plus l’invasion qu’elle prend les traits d’un déferlement fondé sur le fantasme de la masse visible ou invisible. Les études stratégiques rejoignent les peurs ancestrales sur un point: elles accordent une importance centrale au nombre. C’est en comparant les 24 millions de taïwanais au milliard et demi de chinois, que l’on accorde peu de chance à l’ile en cas de conflit.
De même que l’explosion démographique africaine, un milliard en 2020, 2,5 milliards projetés en 2050, selon l’ONU, génère des discours sur l’inversion du rapport de force sud- Nord. Mais la puissance ne se mesure plus avec autant de simplicité. La démographie ne fait plus toujours la force même si une large main d’œuvre peut constituer un atout indéniable si elle est bien utilisée. Une population nombreuse, il faut la nourrir, la loger, la diriger, lui donner du travail, et si elle est composée de plusieurs communautés, il faut la fédérer. En relations internationales, la quantité, n’est rien sans la qualité, le nombre, sans l’esprit, l’ambition extérieure, sans la cohésion interne. Certaines diplomates estiment qu’elle doit être adossée à la possession d’importantes ressources matérielles: superficie du territoire, matières premières, sciences, économie et industrie.
Ainsi, quelques exemples historiques font mentir cette corrélation masse humaine et puissance. Ce fut le cas de l’union soviétique avec un territoire gigantesque riche en ressources énergétiques et 290 millions d’habitants en 1990. À l’inverse, le minuscule Qatar, avec ses 2,7 millions d’habitants dont seulement 300 000 nationaux sur 11 500 km² fait régulièrement parler de son influence mondiale. Une population nombreuse peut autoriser une armée théorique: Chine, Inde, États-Unis, Corée du Nord, mais de quel armement, dispose-t-elle, quelle est la qualité de son entraînement, son expérience au combat, son moral, sa motivation à se battre et contre qui ?
L’armée irakienne décrite comme la « quatrième du monde », a offert une piètre résistance à la coalition internationale au Koweït en 1991. La guerre en Ukraine illustre a l’inverse une très forte résistance d’une population fortement engagée contre l’armée russe et une puissance nucléaire.
Ces cas montrent que l’influence à l’international, la force et la puissance, n’est pas simplement l’affaire de la masse de la population. Les paramètres de la compétence jouent aussi avec l’attractivité d’un pays, son « soft power », sa réputation, sa place dans les sciences, ses ressources symboliques avec ses réseaux d’industrie de loisirs, le rayonnement de célébrités pour l’Amérique ou le Royaume-Uni, la musique ou la culture comptent beaucoup, ou la volonté d’engagement de ses citoyens derrière ses dirigeants comme en Ukraine.
##. 10. Mais, aujourd’hui peut-elle accompagner la transition écologique pour sauver la planète ?
Une étude publiée dans les lettres de la recherche environnementale par l’université de Lund en Suède, a identifié quatre changements de comportement prioritaires pour réduire l’empreinte, carbone individuelle: ne pas posséder de voiture permettrait de faire une économie de 2,4 tonnes de CO2 annuelles, éviter de voyager un avion, 2,4 tonnes, manger végétarien, 1,6 tonnes et avoir un enfant de moins 58,6 tonnes!
La démographie serait-elle alors un jeu climatique ? Il faut bien sûr croiser avec le style de vie ; un citoyen américain consomme 100 tonnes d’équivalent CO2 contre 0,1 pour un habitant du Niger. Une personne de plus à Washington ou à Niamey ce n’est pas la même empreinte carbone.
Les évolutions démographiques et les lieux où elles se produisent sont donc ainsi l’enjeu essentiel des défis environnementaux. La transition démographique, est à l’œuvre partout dans le monde, exactement de la même manière, mais pas au même moment.
Pendant longtemps, les humains ont eu à la fois un taux de mortalité et un taux de fécondité très forts. Il s’agissait des deux faces de la même question : quand on meurt beaucoup, le réflexe humain fondamental et de faire aussi beaucoup d’enfants pour compenser.
La population évolue alors que très lentement. La transition démographique vient avec le développement économique, en deux phases. D’abord, avec les progrès de l’hygiène, de la médecine, de la nutrition. La mortalité baisse rapidement, mais les réflexes de fécondité perdurent, c’est l’explosion démographique. Ensuite quand le taux de fécondité décroît, c’est-à-dire quand la baisse de la mortalité commence à être intégrée dans les comportements nataliste, la croissance démographique se ralentie. C’est le début du remplacement d’une population jeune, pas une population vieillissante : c’est ce phénomène qu’il faut comprendre, et qui va interagir avec la transition environnementale. Les pays européens l’ont initié durant le XIXème siècle, les autres pays, les uns après les autres, l’intègre en fonction de leur développement économique et sanitaire.
Les pays en voie de développement ont commencé plus tard, mais à un rythme accentué. La limitation des naissances, les progrès sanitaires, la condition des femmes ont entraîné une baisse de la fécondité en quelques décennies seulement. L’Afrique est ainsi au milieu de la transition son taux de fécondité de 6,5 à 1950, de 4,4 aujourd’hui n’approchera le taux de 2 (taux nécessaire pour le maintien de la population) qu’en 2100.
Nous sommes à la croisée des chemins. Les pays développés ont achevé leur transition démographique et au-delà, car le nombre d’habitants a commencé à baisser. Ceci a un double impact. De vastes territoires comporteront tout simplement moins d’habitants qu’aujourd’hui et ces espaces seront occupés par des populations bien plus vieilles donc d’une culture différente de celle des populations plus jeunes, elles seront plus sensibles au long terme, a durabilité des produits, moins avides de nouveautés. Les pays en développement sont au milieu de leur transition démographique et connaissent encore une forte croissance démographique et une forte urbanisation. Eux aussi, connaîtront un temps où leur population ne croitra plus, voire baissera, le tout et de savoir quand et à quel rythme. La transition écologique réussie dépendrait ainsi pour une bonne part du rythme de la transition démographique.
La revue The Lancet a publié récemment une étude d’une université américaine qui revoit drastiquement à la baisse les prévisions de l’ONU. La population mondiale n’atteindra jamais 10,8 milliards d’habitants ; mais connaîtrait un pic à 9,7, en 2064, pour redescendre rapidement à 8,8, soit un niveau comparable à celui d’aujourd’hui. Pour les partisans de la convergence de la transition écologique avec la transition démographique, cela change tout.
Toutefois, si le choix de faire moins d’enfants pour sauver la planète peut représenter une attitude éco responsable au niveau individuel, il semblerait que les défis à régler ne sont plus seulement d’ordre écologique, climatique, environnemental et social mais surtout un enjeu diplomatique. Le climat n’est plus une simple question environnementale : il est désormais incontournable dans les relations internationales. Sujet de préoccupations des citoyens dans la plupart des pays industrialisés, ou il est également entré de plain-pied en démocratie à la faveur des mobilisations de jeunes et fait aujourd’hui l’objet d’âpres débats politiques, mais il ne fait peut-être pas l’objet des mêmes préoccupations dans les autres pays d’où la nécessité d’un dialogue mondial pour en faire un destin et un avenir commun à tous les peuples.
##. Au terme de cette note de synthèse, il apparaît bien que la démographie est implacable. C’est la réalité d’une société. C’est la base d’une société. Elle reflète les politiques générales menées et les modes de vie d’une société sur de longues périodes. Elle ouvre, aujourd’hui, un chemin inconnu à ce jour vers une gérontocratie qui peut être dangereuse pour notre démocratie car les politiques et les sociétés ont toujours reposées sur le dynamisme de populations jeunes, aventurières et innovantes. Aujourd’hui, le danger n’est pas le grand remplacement fantasmé par certains mais le remplacement d’une population jeune par une population vieillissante qui est en cours.
Aujourd’hui, les populations jeunes diminuent en proportion, mais plus grave diminuent dans l’absolu, dans certains pays, donc moins de jeunes aujourd’hui annonce encore moins de jeunes demain. C’est le piège démographique dont serait prisonnière l’Italie et dans lequel pourraient tomber d’autres pays craignent les démographes. Mais cette transition démographique dangereuse pourrait être convergente avec la transition écologique. Pour le savoir, il faut que les jeunes générations parcourent encore une bonne partie du chemin ouvert devant elles. Qui vivra, verra.
(*) Note de synthèse rédigée à partir de nombreux articles et études publiées par :
The Conversation, Le Point, L’express , Les Échos, Le nouvel Économiste, L’Opinion.