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La proportionnelle, mais laquelle ? Par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne

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La qualité traditionnellement reconnue au mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours garantissant la visibilité des sensibilités politiques et la stabilité gouvernementale en dégageant une majorité semble vouloir être réexaminée dans la situation actuelle, car ce mode de scrutin ne donnerait plus satisfaction. Depuis le début de la Ve République, ce mot de scrutin a toujours produit des majorités absolues à l’assemblée à la seule exception de la période 1988-1995.

Aux élections de 2022 et de 2024, il n’a pas produit de telles majorités pour un camp. Les gouvernements étant placés sous la menace d’une motion de censure, comme celle qui vient d’être votée, faut-il donc changer le mode de scrutin pour choisir un scrutin proportionnel, qui permettrait une représentation plus fidèle de la diversité des opinions, mais celui-ci pourrait-il assurer une meilleure stabilité gouvernementale ?

Ensuite, quel mode de scrutin proportionnel, car il existe en réalité de nombreuses et très différentes modalités dont les résultats peuvent ne pas être très proportionnel !!

Observons d’abord, que l’article 24–3 de la Constitution, dit que les députés à l’Assemblée nationale sont élus au suffrage direct et que leur nombre ne peut excéder 577, ce qui laisse à penser que ce nombre pourrait être inférieur sans aucune procédure législative.

L’article 34– 2 précise, lui, que la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires. Une loi ordinaire est donc suffisante pour fixer le régime électoral des députés, alors qu’une loi organique est nécessaire pour fixer la durée des pouvoirs de chacune des assemblées et leur nombre au-delà de 577, selon l’article 25. Observons encore que l’article 39 dit que l’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du parlement. Ainsi, le régime électoral des députés peut avoir pour initiative un projet de loi du gouvernement ou une proposition de loi présentée par des députés, les pères de la Constitution ont donc laissé les députés libres de déterminer leurs modalités d’élection.

Il est donc fort probable que s’ouvre bientôt un débat sur le mode de désignation des députés. Alors, comment s’y retrouver ?

 

Emmanuel Macron a déclaré que si une majorité se dégage pour introduire une part de proportionnelle, il prend l’engagement de suivre, car il estime que ce serait bon pour la démocratie. Mais quelle part ?

 
François Bayrou soutient cette option de longue date et s’en est ouvert à nouveau récemment.
Michel Barnier, alors, Premier ministre , avait déclaré ne rien s’interdire.
Beaucoup à gauche semblent prêts à rejoindre ce concert.


Toutefois, cet accord apparent, est loin d’épuiser le sujet. Il existe en effet de très nombreuses façons d’organiser un scrutin proportionnel. Comme toujours, le diable se cache dans les détails, et c’est sur ces détails que le débat risque d’achopper car leurs conséquences politiques peuvent être majeures.

La présidente de l’’Assemblée nationale s’est prononcée en ce sens en déclarant, être favorable, dans la situation politique actuelle, au rétablissement du scrutin proportionnel.
Elle propose un scrutin mixte majoritaire / proportionnel, ou les députés seraient élus sur des listes à la proportionnelle dans les départements les plus peuplés, ceux où sont élus, 11 députés ou plus, soit dans 12 départements avec les français établis hors de France.

Ailleurs, dans les autres départements et toutes les autres circonscriptions, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours serait maintenu. Au total, 152 députés sur 577 seraient désignés à la proportionnelle, soit 26 % d’entre eux, 1 sur 4. Pourquoi seulement une part ?



Le RN est également favorable depuis toujours, et le répète en ce moment, il a exprimé ses préférences dans une proposition de loi déposée en 2022 à l’Assemblée nationale. L’article premier de cette proposition dit : « Les députés sont élus dans les départements, au scrutin de liste à un tour à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage, ni vote préférentiel ». Ce mode opératoire est mutatis mutandis celui qui fut appliqué aux élections législatives de 1986 par François Mitterrand, dans l’intention de réduire la majorité de droite annoncée alors que les sondages donnaient une large défaite à la gauche avec le scrutin majoritaire à deux tours. Ce scrutin a donné une courte majorité à la droite conduisant à la première cohabitation avec Jacques Chirac, et il a permis pour la première fois aux Front National d’envoyer des députés au Palais Bourbon.

Cette proposition qui paraît très claire est à la mesure des bénéfices que le RN attend d’une telle réforme, la taille de la circonscription départementale est fondamentale, mais pose des problèmes fondamentaux, car en fait, dans certain cas, ce choix aboutit à un scrutin uninominal à un seul tour, ce qui est loin de la proportionnelle. Pourquoi ?
C’est assez simple à comprendre et la revue de Terra Nova « La grande conversation « a analysé cette proposition.

Dans un département a circonscription unique, chaque liste ne compterait qu’un seul candidat et celle qui arriverait en tête, remporterait nécessairement 100 % de la représentation, c’est-à-dire en l’occurrence un siège. Les électrices et les électeurs qui auraient voté pour la liste arrivée en deuxième, troisième, quatrième ou cinquième position ne seraient tout simplement pas représentés leurs voix seraient perdues. Cela revient à un scrutin majoritaire à un seul tour qui n’a rien de « proportionnel ». Alors qu’aujourd’hui, sauf si un candidat recueille 50% des voix et 12,5% des inscrits pour être élu, il est organisé un second tour avec les candidats ayant recueilli au moins 12,5% des inscrits ou le second par repêchage avec la possibilité de désistements et de report de voix.


Ce résultat peut se reproduire dans les départements découpés en 2 ou 3 ,voire 4 circonscriptions , et qui dans ce nouveau système ne forment plus qu’une seule circonscription pour repartir 2,3 ou 4 sièges, l’effet proportionnel sera très limité entre les principaux partis et les petites formations et comptera une forte prime majoritaire implicite « aux grands partis » accentuée par le mode de calcul proposé par le RN à la plus forte moyenne pour l’attribution de sièges restants lequel avantage les listes des « grands partis » ayant recueilli le plus grand nombre de voix contrairement au mode de calcul dit « au plus fort reste ».

Avec un tel système les jeux sont faits favorablement pour les « grands partis » et les « petits partis » ne peuvent espérer grand-chose . Ce mode électoral pourrait concerner 50 départements, et 129 sièges sur 577 soit 22%, plus de 1 siège sur 5. Si on y ajoute les 11 circonscriptions des Français à l’étranger assimilables, on arriverait à un total de 140 sièges, soit près de 1 siège sur 4 qui pourraient échapper à une réelle proportionnelle.

Bref, le choix du RN et celui d’un « grand parti » qui espère tirer profit du scrutin proportionnel de liste à l’échelle départementale, lequel défavorise les « petits partis ». Par construction, la circonscription départementale lui est très favorable : elle lui offre une forte prime majoritaire dans les petits départements, peu dense où il est fort, et une part proportionnelle dans les zones beaucoup plus denses où ses résultats sont parfois plus médiocres. En outre, avec un scrutin à un tour, il s’épargne les affres d’un éventuel front républicain entre les deux tours du scrutin actuel! En somme, il gagne sur tous les tableaux.


Si on fait abstraction des résultats politiques de ce mode de scrutin proportionnel départemental pour s’en tenir à ses conséquences techniques qui ont pour effet de créer une discrimination entre les électeurs vivant dans les zones denses et ceux vivant dans des zones peu denses , et de ne pas assurer une juste représentation des différentes sensibilités politiques dans le pays en considérant le nombre de voix perdues comme d’aucun effet dans « les petits départements », mais que l’on veuille mettre en place un scrutin intégralement proportionnel aux prochaines élections législatives, il faut rechercher vers d’autres tailles géographiques de conscription : nationales ou régionales .


Pour 577 sièges, une liste nationale compterait 577 candidats. Une liste trop longue dont l’immense majorité des électeurs ne connaîtrait ou ne reconnaîtraient que les premiers noms. Ils seraient dans incapacité de juger de leurs compétences, de leurs qualités, atouts ou défauts. Le lien entre électeurs et élus en serait fortement affecté et l’emprise des appareils politiques parisiens beaucoup accrue. Ils retrouveraient là une centralité majeure surtout si on écarte les options de panachage ou de vote préférentiel. Les listes seraient bel et bien bloquées. Pour le candidat, l’objectif de sa campagne serait d’être placé le plus haut possible sur la liste de son parti pour avoir des chances d’être élu. Les députés élus seraient des élus de partout et nulle part, sans ancrage territorial. Les députés seraient relativement plus difficiles d’accès, le lien direct entre députés et citoyens étant supprimé, et de ce fait moins responsables et redevables devant leurs électeurs, sauf si on retrouve le député -maire en supprimant l’interdiction du cumul des mandats.


La taille régionale pour circonscription pourrait être un compromis, surtout si l’on choisissait les régions anciennes moins grandes que les actuelles et plus représentatives d’un territoire sans éliminer pour autant la difficulté des longues listes, 101 pour l’île de France. La circonscription régionale permettrait d’assurer réellement une représentation proportionnelle surtout si la méthode du « plus fort reste » était retenue pour favoriser la représentation des petites listes ayant recueillies le moins de voix. Les listes seraient moins longues que celles que l’on a connu pour les dernières européennes, par exemple. Cette taille limiterait un peu l’impact des états-majors politiques parisiens mais elle ne permettrait pas un véritable ancrage territorial même s’il y a un rapprochement. Qui connaît aujourd’hui, son ou sa conseillère régionale ? Le député élu resterait un élu de partout et nulle part et qui connaîtrait « son », ou « sa » députée, au moment où il est demandé plus de proximité, sauf à revenir, là aussi, sur le cumul des mandats et à retrouver le député-maire.

 
Comme, il est permis d’en juger par cette analyse, les choix techniques : scrutin national, régional ou départemental, répartition des sièges à la plus forte moyenne ou au plus fort reste, ont en réalité des conséquences politiques majeures. Au-delà des débats sur les principes généraux que nous entendons aujourd’hui, tout est en réalité dans le détail.

Si la proportionnelle pourrait permettre une représentation plus fidèle de la diversité, des opinions et de tous les partis sous certaines conditions techniques bien précises comme nous venons de le voir, maximiserait-elle, pour autant, les chances de faire émerger des majorités stables et une stabilité gouvernementale pour répondre au problème politique que l’on cherche à résoudre en ce moment ?

En fait , nous devons nous poser la question : de quel mode de scrutin avons-nous besoin pour sortir de la crise politique actuelle ? S’agit-il de corriger les effets indésirables du scrutin majoritaire, en y intégrant une dose de proportionnelle, avec un scrutin mixte, ou bien de passer à un scrutin proportionnel intégral ? Et comment maîtriser les divers effets de chacun des choix possibles. L’association Démocratie et Proportionnelle a étudié, en réaction au rapport de Terra Nova, d’autres mécanismes utilisés dans de nombreux pays européens reconnus pour la très grande qualité de leur fonctionnement démocratique.


Les scrutins mixtes sont parfois privilégiés pour concilier les objectifs de la représentation proportionnelle et de l’élection nominale majoritaire. Ces scrutins envisageables varient en fonction du nombre de députés respectivement désignés au scrutin majoritaire, une dose faible de proportionnelle conduit à une représentation proportionnelle homéopathique, et une dose très élevée a un affaiblissement de la représentation locale, mais aussi en fonction du mode de calcul du nombre de sièges accordés à la proportionnelle à chaque parti.

 Du point de vue démocratique, le seul scrutin mixte de bonne qualité, c’est le scrutin allemand qui corrige de façon importante les résultats obtenus par le scrutin majoritaire en compensant les partis qui ont obtenu au scrutin majoritaire moins que la proportionnelle pure leur accorderait. La Nouvelle Zélande et le Japon utilisent aussi ce système électoral.

 
Les autres pays européens où un scrutin mixte est en place : Hongrie, Italie, Grèce, Lituanie utilisent des procédures soit pour additionner des sièges attribués à la proportionnelle aux sièges obtenus par le scrutin majoritaire, ce qui peut réduire la proportionnalité finale du résultat en fonction de la dose de proportionnelle, soit pour les défalquer en corrigeant le scrutin majoritaire mais ces modes de scrutin ne semblent pas donner satisfaction dans ces pays qui les remettent sans cesse au centre des débats .

 Enfin, il faudra dire si les députés supplémentaires élus sur une base proportionnelle peuvent l’être au niveau national, régional ou départemental sur des listes bloquées ou pas, choisis dans un ordre établi par leur parti, et si les doubles candidatures, à la fois au scrutin de liste et uninominal dans une circonscription sont autorisées ou interdites.

Ces différents scrutins montrent qu’il existe une vaste combinaison de possibilités qui peuvent amplifier ou atténuer le caractère proportionnel du scrutin de façon très significative auxquels il convient d’ajouter la complexité de la mise en œuvre concrète de l’élection. Deux scrutins parallèles doivent être organisés le même jour, l’un pour les députés élus au scrutin uninominal, en un ou deux tours, l’autre pour le scrutin de liste national ou régional à un seul tour.


A côté de ces scrutins mixtes, d’autres pays comme le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Islande, l’Autriche et l’Estonie dont le fonctionnement démocratique est exemplaire utilisent le mécanisme de compensation nationale associée à des circonscriptions départementales ou régionales qui permet d’avoir des circonscriptions de taille raisonnable tout en ne perdant aucune voix au niveau national. Comme en Allemagne et en Nouvelle Zélande, ces modalités de scrutin ne sont pas remises en question par aucun des acteurs politiques et n’altèrent pas la confiance des citoyens dans leurs institutions.

Ces systèmes intégralement proportionnels, avec la particularité d’avoir une compensation nationale basée sur les votes des circonscriptions, permettent d’obtenir une excellente représentativité, réduisant la nécessité pour les partis de former des coalitions préélectorales et pour les électeurs de « voter utile ». Pour l’association Démocratie et Proportionnelle ces mécanismes, comme celui en vigueur en Allemagne, serait transposable en France.



Cette note se veut avant tout pédagogique pour éclairer le débat qui s’engage sur la proportionnelle et pour montrer la difficulté de celui-ci, car au-delà des principes généraux énoncés, de ci de là, sur les plateaux des médias, le diable est dans les détails. Ce sont en effet, les détails qui font, ou feront, que le mode électoral qui sera arrêté sera plus ou moins proportionnel, voire absolument pas proportionnel malgré les apparences. Il pourrait en avoir l’apparence mais pas la saveur.


Comment trouver un système adapté à la taille du pays répondant à cinq exigences : conserver le rôle du député tel qu’on le connaît aujourd’hui, former une Assemblée dans laquelle les groupes politiques sont présents à proportion de leur audience réelle dans le pays, proposer aux citoyens un système simple et transparent dans lequel toutes les voix comptent, dégager une majorité politique au sein de l’Assemblée et, enfin, assurer la stabilité d’un gouvernement.

Et si, finalement, la probabilité qu’émerge une majorité de gouvernement tenaient plus à la structure de l’offre politique et à la personnalité du personnel politique qu’au mode de scrutin proportionnel ou majoritaire ? C’est peut-être là qu’est la solution.

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