« La tectonique des plaques politiques bouge en Occident entraînant de grandes turbulences à regarder avec lucidité et espérance dans un monde complexe », par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne.
Après les élections européennes, italiennes, françaises, allemandes, américaines et dans d’autres pays européens et occidentaux, après le Brexit on constate que la tectonique des plaques politiques bouge en Europe et en Occident. Ces mouvements qui éloignent ou rapprochent les électeurs, viennent essentiellement de l’extrême gauche et de l’extrême droite et recouvrent petit à petit la plaque politique centrale qui dominait depuis 1945 l’espace politique dans nos démocraties, mais la submersion venant des radicaux de droite est plus forte que celle des radicaux de gauche.
Or, plus une société est clivée et polarisée et plus le corps électoral y sera segmenté de manière rigide selon les positions des individus sur les clivages les plus saillants surtout si l’offre politique le permet. Des groupes homogènes se constitueront vers des forces de gauche ou de droite radicale bousculant les plaques tectoniques politiques en Occident en entraînant de grandes turbulences qu’il faut regarder avec lucidité, réalisme et espérance dans un monde complexe.
Pour regarder avec lucidité et expliquer ces mouvements, il est possible de se baser sur le travail remarquable réalisé depuis 2019, par l’Observatoire électoral du Grand Continent pour aider à comprendre l’Europe à partir des grandes élections.
Une excellente analyse des élections allemandes, françaises, italiennes, espagnoles belges et anglaises, mais aussi américaines et de l’évolution des électorats depuis plusieurs dizaines d’années a été réalisée par Jean – Yves Dormagen (1). Ces analyses sont publiées par la revue numérique Le Grand Continent. Le Grand Continent a publié un ouvrage sous la direction de Giuliano da Empoli : « Portrait d’un monde cassé ».
Deux autres ouvrages, l’un de Bart Brandsma, l’autre de Thierry de Montbrial apportent également une contribution à cette connaissance du monde.
Pour Bart Brandsma avec « La société polarisée : des extrêmes et du moyen de s’en sortir », l’antidote à la polarisation réside surtout dans la capacité à proposer des projets à la fois réalistes et inspirants pouvant créer une nouvelle réalité grâce à la force de l’imagination. Des projets et des idées qui doivent apporter à la discussion commune un thème qui crée du lien et qui déplaît aux instigateurs de polarisation.
Pour Thierry de Montbrial , avec « L’ère des affrontements « , il nous faut regarder le monde avec lucidité et espérance. Les personnages qui émergent à un moment donné reflètent toujours un pan de la société de l’époque. Trump n’est pas une aberration, il révèle l’aboutissement d’un processus et représente une partie de l’Amérique profonde qui rejette une élite de la côte Est et Ouest qu’elle juge de plus en plus déconnectée de la réalité. Le refus du wokisme n’est pas prêt de s’interrompre.
Cette longue tribune est une courte synthèse de toutes ces excellentes et longues analyses.
##. En ALLEMAGNE, déjà les élections européennes du 9 juin ont été marquées par l’expression d’un puissant désaveu à l’encontre des partis composants la coalition au pouvoir: écologistes, SPD et libéraux. Les libéraux du FDP ont perdu plus de la moitié (11,5%/5,2%) de leur voix et le SPD presque la moitié (25,7%/13,9%). Cette coalition qui représentait 52 % des votants en 2021 n’en réunissait plus que 31 % le 9 juin 2024. La CDU/CSU a bénéficié d’un rebond (24,1%/30,0%) ainsi que l’AFD (10,4%/15,9%). Les élections du 23 février ont confirmé, voire amplifié, cette tendance repérée lors du scrutin européen. C’est peu dire que le choix d’une élection anticipée n’aura pas été couronné de succès, mais le chancelier avait-il d’autres choix ?
Ce désaveu a été confirmé avec les élections législatives du 23 février alors que la participation a été de 82 %au niveau national et que dans aucune des 299 circonscriptions l’abstention n’est supérieure à 27%. Une participation record depuis la réunification des deux Allemagne. Le résultat obtenu le 23 février par la CDU/CSU s’établit à 28,6%, alors que les sondages lui donnaient 30%, et la plaçait en tête. Elle passe en tête dans 217 circonscriptions, mais une seule en ex-RDA.
Pourtant, observé dans une perspective ce résultat confirme un recul régulier et continue de la démocratie chrétienne en Allemagne. Ce score constitue le plus mauvais résultat de la CDU/ CSU depuis les élections fédérales de 1949. Elle réunissait régulièrement près de la moitié des suffrages entre les années 1950 et 1980, près d’un quart à la veille de la réunification et 41,5% il y a 10 ans. Alors que le contexte lui était favorable, elle a rassemblé le 23 fevrier moins d’un électeur sur trois, confirmant ainsi le cycle baissier engagé depuis maintenant près de quatre décennies.
L’autre grand pilier de la démocratie allemande, le SPD, est lui aussi engagé dans un cycle baissier encore plus marqué ce qui l’a conduit à un résultat historiquement bas de 16,4% le 23 février. Les sociaux-démocrates connaissent un fort décrochage depuis les années 2000 passant de 40% à 25% et le résultat de 16% revêt une dimension historique, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, ils se situent nettement en dessous du seuil de 20%. 2/3 des circonscriptions remportées par le SPD en 2021 sont passées chez le CDU/CSU. Avec 8,2 millions de voix, le SPD perd 3,8 millions d’électeurs.
Ainsi, avec les résultats du 23 février, il faut constater que pour la deuxième fois consécutive, la CDU/CSU et le SPD ne sont pas en mesure de réunir ensemble la moitié des suffrages des électeurs. Ils n’obtiennent que 45%, alors qu’ils réunissaient ensemble plus de 80% des suffrages entre les années 1950 et 1980. Les conditions d’une grande « coalition » ne sont plus remplies aujourd’hui. Ce vote du 23 février confirme que l’ère du « bipartisme et demi « ou « système de deux partis et demi » selon des qualifications allemandes n’est plus qu’un souvenir.
Ce système voulait que deux forces dominantes, le SPD et la CDU/CSU, pouvaient alterner au pouvoir avec l’appui d’un petit parti pivot, le FDP des Libéraux. Ce système a caractérisé l’Allemagne jusqu’en 2005, pendant 60 ans. Mais, à partir des années 2005, le recul électoral des deux partis a rendu nécessaire le recours à une nouvelle formule politique : la grande coalition réunissant dans un même gouvernement les deux partis jusque-là rivaux et concurrents. Les quatre gouvernements de Angela Merkel, entre 2005 et 2021 ont associé le SPD et la CDU/CSU. Il faut souligner que le chancelier sortant Olaf Scholz était le vice chancelier de Angela Merkel.
Un tel constat permet d’observer combien le système politique allemand est en mutation et surtout, comme dans la plupart des grandes démocraties, en voie de fragmentation.
Cette tendance est amorcée à gauche, avec l’apparition des écologistes, Die Grunen, à partir des années 1980 qui obtiennent 10% des suffrages à la fin des années 2000 et d’une gauche radicale, Die Linke, qui obtient 11,9 % en 2009. Elle s’accentue avec la présence depuis les européennes de BSW (Bundnis Sahra Wagenknecht – Pour la Raison et la Justice) issue d’une scission avec DieLinké auquel il est reproché d’être un parti de « bobos urbains » replié sur le progressisme sociétal au détriment de la question sociale et du contrôle de l’immigration. Aux européennes, BSW a obtenu 6,2% dépassant DieLinke.Ainsi, au lendemain du scrutin du 23 février, la gauche allemande est particulièrement fragmentée et sans force clairement dominante.
Au sein de l’espace conservateur, la montée en puissance de l’AFD modifie le rapport de force. Fonde en 2013, ce parti a connu un premier succès électoral en 2017 avec 12,6% des voix, il a atteint 15,9% aux européennes et 20,5% le 23 février, soit environ le double de son score de 2021, dans un contexte d’attentats meurtriers avec les polémiques sur l’immigration et les incertitudes sur l’avenir de l’industrie automobile. Ce résultat marque une étape supplémentaire dans la fragmentation du système politique et de l’espace occupé par les conservateurs sur fond de polarisation des électorats.
L’analyse des transferts de voix offre un éclairage concernant ces dynamiques en cours parmi l’électorat allemand.
Elle permet de comprendre pourquoi la CDU / CSU est contenue et ne devrait pas retrouver les niveaux atteints antérieurs. La CDU/CSU progresse principalement en récupérant depuis 2021, des voix sur l’électorat du FDP environ 1/3 des suffrages, sur l’électorat du SPD, 21% de celui-ci et sur les Verts, 11%. Mais ces gains ne sont pas suffisants pour obtenir un score plus élevé en raison des difficultés à fidéliser son électorat de 2021 qui pour 15% ne revotent pas pour elle, mais votent pour l’AFD.
Ces mouvements s’inscrivent dans une logique de polarisation à l’œuvre au sein de l’électorat conservateur, mais les mêmes mouvements sont observés à gauche avec une plus grande instabilité électorale.
A gauche, les Verts parviennent à fidéliser plus de la moitié de leurs électeurs de 2021, 61%. Ils limitent la casse par rapport à 2021 en recueillant 11,6% des suffrages contre 14 ,8% en 2021. Comme Die Linke qui obtient un score de 8,8% alors qu’il n’avait pas franchi le seuil de 5% en 2021 et qu’il était considéré comme moribond après la scission avec BSW et son mauvais résultat aux européennes.
Ces évolutions reflètent deux phénomènes bien distincts.Le premier consiste dans la migration d’une part significative des électeurs de gauche ( SPD, Die Linke, Die Grunen) vers les partis du centre droit et de la droite : la CDU/CSU et dans une certaine mesure l’AFD . Cette migration se traduit dans le fait que le total des trois partis de gauche baisse de 45% à 36,8% entre 2021 et 2025.
Le deuxième phénomène est observé dans la très grande volatilité au sein même de la gauche. Les électeurs des Verts votent pour le SPD où Die Linke, 20%, une même proportion des électeurs du SPD votent pour une autre formation de gauche. L’apparition de BSW a même accentué cette volatilité. BSW n’a pas réellement élargi le cercle électoral de la gauche, mais a contribué, en revanche, à accentuer encore la fragmentation de cet espace politique. BSW ayant obtenu 4,97% des voix n’entre pas au Bundestag.
Cette volatilité est une donnée structurelle déjà ancienne à la gauche ou la concurrence est intense entre les gauches allemandes, elle peut évoluer encore à l’avenir mais les progrès des uns se feraient au détriment des autres avec l’enjeu pour les petites formations d’être représentées ou non au Bundestag.
La progression de l’AFD résulte d’une double dynamique , elle est aussi le symbole d’une fracture géographique est / ouest et sociale.
Elle fidélise une proportion très importante de son électorat, 88%, c’est un indicateur de sa dynamique haussière. Mais, l’autre facteur décisif réside surtout dans la capacité de l’AFD à attirer dans des proportions significatives des électeurs venant d’autres partis. Dans une certaine mesure venant du SPD, de Die Linke et des Verts, mais dans des proportions plus importantes des électeurs venant du FDP et de la CSU/CSU. Ce qui constitue une indice d’une radicalisation sur sa droite de l’espace conservateur allemand. Ce faisant, l’AFD réduit l’espace potentiel du centre droit et de la droite de gouvernement allemande en réduisant son influence au sein des composantes les plus conservatrices de l’électorat.
Si l’AFD réalise un score de 20,8% au niveau fédéral, le vote en faveur du parti d’extrême droite diffère énormément selon les régions allemandes. C’est dans les anciens Länder de l’Allemagne de l’Est que le parti réalise un score supérieur à 30%, arrivant en tête dans les cinq Länder et la quasi-totalité des circonscriptions électorales de l’ex- Allemagne de l’Est. A l’Ouest, elle n’a remporté aucune circonscription. La CDU/ CSU et le SPD se partagent l’essentiel. C’est là, le cruel signe d’une fracture géographique entre les deux anciennes Allemagne, pourtant réunifiées depuis 35 ans.
La fracture est aussi sociale, l’AFD étant le parti le plus plébiscité par les ouvriers, 38% contre 22% pour la CDU/CSU, mais également par les chômeurs, 34%. L’écart générationnel se fait ressentir. L’extrême droite arrive en tête chez les 25-34 ans, 24%, et les 35-44 ans, 26%, mais est rejetée par les électeurs âgés de plus de 70 ans, où elle progresse le moins, 10%, + 4% par rapport à 2021. En fait, elle progresse dans toutes les strates de la population, des plus pauvres aux plus riches, chez les hommes comme chez les femmes, et même chez les citoyens aux plus hauts niveaux d’études.
Ces rapports de forces et ses évolutions sont la manifestation d’une société polarisée sur des enjeux saillants et dont la polarisation va croissant. C’est ce contexte qui permet de comprendre le recul des deux forces politiques historiques et leur tentative de se maintenir électoralement en radicalisant leurs positions durant cette campagne électorale, la forte progression de l’AFD, l’effondrement du FDP, les recompositions internes à la gauche et la résistance relative des Verts et des gauches radicales par rapport au SPD.
En sièges au Bundestag , les 630 sièges de cette 21 eme législature se répartiront entre: ( 733 sièges pour la 20 eme)
La CDU/CSU 208 sièges, soit + 12, L’AFD 152 sièges, soit + 76,
Le SPD 120 sièges, soit – 87,
Les Verts 85 sièges, soit – 32,
Die Lienke 64 sièges, soit + 36,
SSW conserve 1 siège,
FDP n’a plus de représentants, soit – 90.
BSW n’a plus de représentants, soit -10
Divers -8.
Une coalition entre la CDU/CSU et le SPD semble probable et contrôlerait 328 des 630 sièges mais ne disposerait pas de la majorité des 2/3 nécessaires aux réformes constitutionnelles, comme celle du frein de la dette. L’AFD, les Verts et le parti d’extrême gauche Die Linke ont une minorité de blocage.
Pour comprendre la manière dont se structure l’espace électoral en Allemagne et interpréter les dynamiques en cours, un test de segmentation reposant sur 30 mesures volontairement très clivantes permettant d’identifier les principaux groupes qui composent l’électorat a été réalisé.
Les positions des individus sur les grandes divisions qui traversent une société sont le facteur le plus déterminant de leurs choix électoraux. Ainsi, les positions sur des sujets aussi clivant que les droits des femmes, les droits des LGBT, l’accueil des migrants, le rapport à l’étranger ou à l’islam, les mesures écologiques, les aides sociales, le rapport aux élites politiques, l’Union européenne, le partage des richesses, la peine de mort, la justice, la sécurité, les services publics, la souveraineté nationale, sont hautement prédictifs de préférences politiques des électeurs. Ces positions sont souvent l’expression d’attitudes profondes qui sont fortement associées à des identités sociales caractérisées par une forte inertie. Cette approche permet de repérer les clivages, de constituer des groupes d’électeurs, de comprendre l’espace électoral de chaque force politique, l’évolution des rapports de forces, de repérer les positions tranchées et radicales mais aussi les positions modérées ou peu positionnées. Elle permet de mesurer les niveaux de polarisation politique d’une société.
Cette méthode permet de repérer deux macro clivages d’importances inégales de l’électorat allemand.
Le clivage sur les valeurs sociétales est, en Allemagne comme ailleurs, le plus déterminant. Elle oppose des électeurs autoritaires, hostiles à l’immigration, aux politiques écologiques, à la présence de l’islam et plutôt pro-russe a des électeurs favorables à l’accueil des étrangers, pro écologie, tolérant avec l’islam, ouverts à la diversité et féministes. Cette ligne de clivage est commune à de nombreux pays avec quelques variantes. C’est celle qui contribue le plus à la polarisation et à la fracturation en cours des sociétés européennes mais aussi américaines, opposant à chacune des extrémités de ce clivage des groupes très multiculturalismes et progressistes, et qui le sont de plus en plus, à des groupes très identitaires et conservateurs, et qui le sont de plus en plus. Cette ligne de fracture est d’évidence la plus déterminante.
La spécificité de l’Allemagne réside dans la contribution de l’écologie au sein de ce clivage. Nulle part comme en Allemagne l’écologie n’est à ce point un enjeu saillant et clivant autour des centrales nucléaires et des centrales à charbon, des chaudières à gaz et au fioul et de l’industrie automobile avec l’immigration ce qui contribue le plus à la polarisation de la société allemande. Face aux revendications des Verts, il y’a le parti des automobilistes des anti-écologiques et des climatosceptiques avec le FDP et l’AFD.
Une seconde ligne de clivage existe autour des valeurs du libéralisme économique et du rapport au système avec des enjeux sociaux et fiscaux. Elle oppose les électeurs hostiles aux hausses des impôts, à la redistribution, et en particulier aux aides sociales, assimilées à l’assistanat qui sont contraires aux pro- distribution et pro-aides sociales. Elle rassemble des dégagistes et des anti-système, autoritaires.
Ces deux lignes de clivages sont les plus déterminantes, surtout la première, et les plus explicatives des choix des électeurs allemands. Les résultats des élections du 23 février semblent montrer une dynamique de polarisation affectant la société allemande. Les groupes les plus progressistes ne votent que pour des formations de gauche quand les électeurs conservateurs ne votent que pour des formations de droite. Or, plus une société est clivée et polarisée et plus le corps électoral y sera segmenté de manière rigide selon les positions des individus sur les clivages les plus saillants. Si l’offre politique le permet des groupes homogènes se constitueront vers des forces de gauche radicale ou de droite radicale.
C’est ainsi que depuis 2021, les observations des rapports de forces électoraux allemands semblent confirmer que la polarisation favorise logiquement les forces positionnées sur les positions les plus tranchées des clivages et celles dont les électorats sont les plus homogènes et à l’inverse qu’elle dessert les partis dont les positions sont larges et hétérogènes. L’AFD est la principale bénéficiaire de cette dynamique en cours au détriment du SPD et du FDP mais aussi de la CDU/CSU qui ne bénéficie pas de leur recul et à même tendance à reculer également.
A gauche, le clivage écologique et sur les valeurs progressistes bénéficie davantage aux Verts et aux radicaux de Die Linke qui fidélisent mieux leurs électeurs qu’au SPD qui connaît un recul. Les perdants sont les forces historiques qui ont dominé la démocratie allemande depuis 1949 et surtout le parti le plus centriste, le FDP, dont l’électorat anti- écologique, conservateur, identitaire, et libéral économique au bénéfice de l’AFD. Le SPD risque d’être lui aussi l’un des grands perdants des dynamiques en cours concurrence sur sa gauche et sur sa droite par des électeurs plus modérés. La CDU/ CSU connaît une évolution pas rassurante du fait de la concurrence de l’AFD qui rétrécit sa base sur un espace modéré, libéral et élitaire en perdant les plus conservateurs les plus radicaux.
Ce que révèle, au fond, les difficultés de partis politiques allemands c’est la logique des clivages qui domine aujourd’hui comme dans la plupart des pays occidentaux : les enjeux de classe et la question sociale sont devenus moins polarisants et mobilisateurs que les enjeux migratoires, identitaires et écologiques.
Les élections allemandes ont ouvert une nouvelle ère. Derrière l’apparente, stabilité d’une grande coalition qui devrait voir le jour, l’électorat s’est nettement droitise faisant aujourd’hui des Allemands, les deuxièmes plus importants électeurs de l’extrême droite en Europe. Mais l’AFD n’est pas la seule menace de la démocratie allemande, elle est attaquée aujourd’hui depuis l’extérieur par les États-Unis d’Amérique, et tout ceci dans un contexte de guerre et de situation européenne très difficile.
L’économie allemande est moins performante dans une récession qui dure depuis deux ans. Elle doit accroître ces dépenses budgétaires à grande échelle pour un grand programme d’investissement public et pour la Défense. Mais, la condition nécessaire est que l’Allemagne reforme son frein constitutionnel à l’endettement, ce qui, à ce jour, paraît très difficile faute de disposer d’une majorité des 3/5 au Bundestag.
##. En Europe, La FRANCE, l’ITALIE, l’ESPAGNE et le ROYAUME -UNI connaissent, hormis quelques particularités allemandes, la même situation que l’auteur a analysé et qui ont fait l’objet de publications.
#. En FRANCE, l’élection européenne a acte le succès de la stratégie de normalisation du RN du fait de l’élargissement de son électorat à des segments électoraux jusqu’ici hors de portée. La liste portée par Jordan Bardella a obtenu le 9 juin 31,3% des suffrages. Dans le même temps, la liste de la majorité présidentielle n’obtenait que 14,8%. Déjà, des 2022 les signes d’une érosion lente apparaissaient car l’électorat de la majorité s’est rétracté, en particulier parce qu’il a été amputé de ses deux « jambes » gauche et droite, laissant entrevoir une « MoDemisation » de Renaissance et le retour tendanciel à une forme de bipolarisation du champ politique.
Les résultats de LFI, du PS et des Verts démontrent la grande fluidité qui existe au sein de l’électorat de gauche entre les partis en fonction de la nature de l’élection et du contexte politique dans laquelle elle s’inscrit, tout en mettant en lumière les divisions de cet électorat sur des sujets majeurs.
Au premier tour de la législative du 27 juillet, le seul qui puisse servir de référence du fait de la constitution d’un front républicain accompagné de désistement au second tour pour barrer la route du RN, le RN recueille 9,379 millions de voix et 29,26% des suffrages exprimés, NFP regroupe 8,995 millions de voix soit 28,06% des exprimés, Ensemble 6,425 millions et 20,04% des exprimés. Le RN est le parti qui rassemble le plus de voix et qui sort vainqueur de ce premier tour de scrutin. NFP n’est que le second, et Ensemble, la majorité présidentielle est en troisième position. Mais si on agrège les résultats de tous les candidats de l’extrême droite soit RN, Reconquête, Droite souverainiste, et les LR-RN on obtient un total de 10,894 millions de voix. Pour la gauche, le total NFP plus des divers gauche, écologistes et l’extrême gauche est de10,074 millions de voix. Quant à la droite républicaine en regroupant Ensemble, LR, Horizons, UDI, et des divers droite, le nombre de voix recueillies est de 10,470 millions. Ainsi, après le premier tour et en termes de voix, la meilleure mesure de la représentativité des trois forces politiques, l’extrême droite est majoritaire, la Droite républicaine est la seconde force politique, la gauche avec l’extrême gauche est la troisième, dans ce partage en trois. Il ressort de ces résultats que trois espaces politiques sont assez proches : à l’extrême droite, le RN, et à gauche le NPF regroupant ensemble plus de 20 millions de suffrages tandis que le bloc central n’en rassemble que 10 millions.
De quoi ce résultat est-il le produit ? C’est le clivage autour des questions d’identité, de laïcité, d’islam et de sécurité qui a structure le plus l’opinion. Ce sont ces questions qui clivent et polarisent le plus et sur lesquelles les positionnements des électeurs se font. La sécurité et l’immigration sont, de loin, les deux facteurs principaux de motivation du vote chez les électeurs de droite. Le pouvoir d’achat n’est pas une thématique décisive dans le choix des électeurs et n’est pas explicative du vote car elle est consensuelle et se partage par tous les électorats. L’autre clivage majeur est celui du rapport au « système » économique, institutionnel, politique entre ceux qui sont pour des ruptures franches et ceux qui sont pour la stabilité.
Le libéralisme économique est peu soutenu dans l’opinion. Un fort clivage existe sur une question centrale qui est celle des aides sociales expliquant en partie pourquoi une part des électeurs populaires vote RN quand l’autre vote à gauche.
C’est sur ce clivage, rupturiste contre pro- stabilité, qu’Emmanuel Macron a été élu en 2017 et qu’il a élargi son socle en 2022. Son électorat s’est uni sur le rejet des extrêmes et des populistes et sur le souhait de stabilité, aide en cela par la crise du Covid et la guerre en Ukraine dans la période préélectorale. Il a rassemblé essentiellement les électeurs pro establishments qu’ils soient conservateurs ou progressistes culturels.
Pourtant, dès après 2022, Emmanuel Macron a voulu réaliser le rêve de Valéry Giscard d’Estaing de rassembler trois français sur quatre et il a pensé que pour y parvenir il fallait marginaliser la droite et la gauche. Ce faisant, il a lui-même contribué à l’éclatement de sa coalition électorale et à sa dislocation par les marges de gauche et droite.
Avec le « en même temps » et le « ni droite, ni gauche », Emmanuel Macron n’a laissé à ses opposants que le choix des extrêmes le 9 juin. Les électeurs de la droite traditionnelle et ceux de la gauche classique se sont en partie tournés vers d’autres offres politiques. La réforme des retraites et la loi sur l’immigration ont contribué également à cet effritement. Au sein de son électorat, l’idée s’est développée que le Président aurait rompu avec ses promesses originelles, qu’il serait « passé à droite » et qu’il « ferait le jeu « du RN. Son mode de gouvernance particulièrement centralisé et autoritaire n’ont fait qu’accentuer la prise de distance au sein de l’électorat de gauche modérée d’autant plus qu’il était mis au service des reformes rejetées : retraites et loi sur l’immigration. Même si pour l’opinion publique Emmanuel Macron se serait « droitise » le Président a bel et bien perdu de nombreux électeurs sur sa droite qui demandent plus d’ordre, plus de frontières, plus de nation, plus d’autorité et pour lesquels il est l’un des responsables du grand déclin de la France.
De la politique du « en même temps », la majorité présidentielle est passée au « ni, ni » ne répondant ni aux sociaux-démocrates ni aux conservateurs libéraux, chacun de ses segments électoraux étant en demande d’une meilleure réponse politique à ses aspirations politiques.
L’espace central n’est malgré tout pas sur le point de disparaître pour la simple raison que l’électorat modéré qui rejette les populismes et toujours disponible et n’a pas de réelle offre mieux disante auxquelles se rallier.
Le RN peut-il encore élargir son socle ? Il est parti d’un électorat assez homogène qui s’est très diversifié et ressemble de plus en plus à la coalition électorale qui a porté ses suffrages sur Nicolas Sarkozy en 2007 er 2012. Le RN a fidélisé un électorat populaire, très anti système et identitaire, souvent peu politisé, plutôt abstentionniste surreprésenté dans le milieu urbain et la ruralité et qui aujourd’hui est en demande de politiques radicales sur le plan sécuritaire et identitaire. Lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, le RN a consolidé son noyau dur en commençant à conquérir les segments les plus à droite de la coalition UMP. Le clivage identitaire activé durant le quinquennat a libéré un espace au FN considéré mieux disant et mieux dispose que la droite à répondre aux aspirations radicales des électeurs sur ce terrain. Ensuite, le passage de FN au RN a débarrassé de l’image sulfureuse du patriarche et permis d’assumer une « normalisation », une « desextremisation » et une institutionnalisation facilitée par le second tour en 2017 et l’accession au Parlement d’un groupe de députes RN.
Le renoncement à un certain nombre de sujets repoussoirs pour l’électorat de droite, en particulier les plus âgés, avec la sortie de l’Euro, la retraite à 60 ans, la sortie de l’OTAN, et la propulsion de Jordan Bardella entre 2019 et 2024, premier leader du parti à ne pas porter le patronyme « Le Pen » ont participé à la montée en puissance du RN à un niveau jamais atteint.
Ces évolution ont permis de séduire un électorat plus modéré, plus proche de la droite traditionnelle, LR, qui rassemble une large partie de la droite catholique. Un basculement remarquable car le catholicisme avait toujours constitué un facteur bloquant au vote d’extrême droite. Ces électeurs de la droite traditionnelle ont le sentiment de voter pour un parti de droite « classique » absolument différent du parti de Jean Marie Le Pen pour lequel ils n’auraient jamais vote. Ce point de vue conduit à relativiser le phénomène de « droitisation » de l’électorat et de mettre en avant un contre phénomène, celui de « banalisation droitière » du RN. Les européennes et les législatives qui viennent de se dérouler ne sont que le produit d’une longue stratégie qui a fonctionné.
Aujourd’hui, le RN est hégémonique dans l’ensemble des points de clivage à droite et serait en train de conquérir d’autres terrains chez les jeunes, très « degagiste » sur représentait dans les banlieues.
Pour la gauche, la captation de l’électorat de gauche modérée par le NPF est plus incertaine. Les sociaux-démocrates et les progressistes, en 2017, comme en 2022 ont très largement participé à la victoire d’Emmanuel Macron, mais leur insatisfaction sur le plan économique et celui des valeurs les a peu à peu détachés de la majorité présidentielle. La liste de Raphaël Glucksmann aux européennes a agi comme un sas de décompression pour cet électorat qui se considère comme orphelin d’une gauche sociale-démocrate et pro européenne mais sans satisfaire les écologistes. L’évolution de cette gauche modérée sera cruciale à l’avenir pour la coalition du NFP.
Pour la gauche, la question du positionnement politique et du leadership sera centrale car elle définira , en partie , sa capacité à obtenir de bons reports de voix des électeurs centristes et modérés dans un second tour. LFI est dans la provocation politique permanente, le PS se veut dans la recherche de l’apaisement et de solutions. La captation de l’électorat modéré de gauche par le NFP est plus incertaine. Cet électorat modéré constitue un pivot qui peut faire basculer une élection et son évolution peut être cruciale.
Ces électeurs modérés de gauche et de droite vont avoir une importance capitale dans les compétitions à venir. Leur comportement sera décisif. Rétifs à la radicalité, et au populisme, ils peuvent se reporter sur le bloc central modéré. Ils tiennent les clefs d’une élection dont tous les observateurs conviennent qu’elles peuvent constituer un tournant dans l’histoire de la Vème République.
Le résultat de ces clivages fait que le pays au soir du 7 juillet n’est pas plus gouvernable qu’au soir du 9 juin. C’est un euphémisme. Ce qui rend la France ingouvernable, aujourd’hui, n’est pas seulement l’absence de culture du compromis, mais la radicalisation du débat politique, et il est loin d’être sûr que le changement de mode scrutin pour introduire de la proportionnelle soit la solution à ce problème, il suffit d’observer la situation de nos amis allemands.
#. En ITALIE, trois clivages principaux structurent l’électorat italien.
Un premier grand clivage, le plus déterminant de loin, oppose des électeurs solidaires des migrants, pro-UE, et anti autoritaires à des électeurs anti- migrants et anti- étrangers, eurosceptiques et pro-autorité. Ce clivage est le plus déterminant. Il divise profondément et souvent la société italienne, comme il fracture la plupart des démocraties occidentales. La présence des étrangers et leur place dans la société est un débat central. Pour les plus radicaux, la tentation de l’Italexit , voire la sortie de l’Euro , a beaucoup progressé surtout dans l’électorat anti- migrants. Identité, souveraineté, sévérité et autorité sont liées au point que certains électeurs acceptent qu’il soit fait usage de la force pour empêcher les migrants d’accéder au territoire italien par bateaux clandestins. Près des trois quarts des italiens sont favorables à un présidentialisme fort et 4 italiens sur 10 seraient pour » abolir le Parlement et le remplacer par une assemblée de citoyens tirés au sort ».
En Italie le présidentialisme renvoie à une tentation fasciste liée à son histoire. C’est sur ce clivage que s’est construite la large coalition électorale de centre droit de Giorgia Meloni.
Un deuxième clivage oppose des électeurs plus distributifs aux anti- assistanat, entre le Nord contre le Sud car les électeurs anti-redistributifs sont plus fréquemment nordistes. Ce clivage permet de comprendre pourquoi la politique italienne conserve une forte dimension géographique et, en particulier, pourquoi le centre droit atteint son plus haut niveau dans le Nord tandis que le M5S est plus présent dans le Sud .
Un troisième clivage oppose un électorat sécularisé et rétif à l’influence du christianisme et à ses valeurs à une électorat chrétien et favorable aux normes et aux valeurs du christianisme. Les positions sur ces questions touchent à l’avortement, l’adoption par des couples homosexuels, l’opposition à la peine de mort, l’amélioration des conditions de détention des prisonniers. Ce clivage oppose des conservateurs en matière de mœurs et de sexualité mais moins répressifs et souvent localisés dans le Sud , à des électeurs sécularisés voire anti religieux, plus progressistes sur les questions sociétales mais aussi ,plus répressifs et habitant plus fréquemment dans le Nord .
Cette analyse révèle une société très a droite idéologiquement, ce qui explique la montée en puissance de Giorgia Meloni et , avec elle , de Matteo Salvini. Cette coalition ressemble particulièrement à la coalition trumpienne : ouvriers très anti immigration, bourgeoisie anti assistanat, secteurs en demande de protectionnisme et d’autorité, poids de la religion important, vieillissement très avancé de la population, divorce entre la gauche et les classes populaires.
#. En ESPAGNE, le pays est profondément divisé, si ce n’est fracturé, selon une puissante logique gauche contre droite. Deux Espagne se font face, l’une de gauche, l’autre de droite, rappelant ainsi un peu la France des années 1970 ou la logique gauche/ droite, structurait profondément le champ politique. Espagne de gauche et Espagne de droite, s’opposent sur presque tout : la mémoire historique du franquisme, les valeurs culturelles, les enjeux économiques, la monarchie, mais aussi le patriotisme et l’attitude à l’égard des nationalismes périphériques. Ce dernier enjeu est bien évidemment décisif pour comprendre la politique espagnole. Il faut aussi prendre en compte l’existence de forts courants régionalistes et nationalistes, tout particulièrement en Catalogne, au Pays basque, et dans une moindre mesure en Galice, en Navarre et aux Canaries. La force structurante du clivage gauche/droite ainsi que celle des nationalismes périphériques, expliquent la grande stabilité des rapports de forces.
Entre les élections générales de 2019 et celle de 2023, les évolutions sont, en effet, minimes, si l’on raisonne en terme de coalition. En 2019, le PSOE (28%) et Podemos(12,9%) avaient totalisé ensemble 40,9 % des suffrages. Le PP (20,8%), VOX (15%) et Ciudadanos (6,8%) en totalisaient 42,6 %. Comme on peut le constater, les rapports de forces entre coalition ont très peu évolué en quatre ans : les droites ont progressé que de 2,9 points, avec 45,6%, quand le total des gauches augmente de façon similaire de 3,1 points avec 44%.
Ces mouvements d’ampleur limitée traduisent la très faible circulation entre gauche et droite, la frontière entre les deux coalitions est assez hermétique. Les mouvements se font à l’intérieur des blocs de gauche et de droite, les électeurs restants ainsi fidèles à leur camp d’origine, même si quelques modestes mouvements se sont faits sur les marges dans les deux sens et se compensent numériquement. Si le rapport de forces gauche /droite semble stabilisé, la situation au sein de chacune des coalitions potentielles se caractérise par sa fluidité du fait que les électorats sont très proches, il n’existe pas deux gauches,ni deux droites.
La progression du PSOE s’est réalisée au détriment des indépendantistes catalans et par la récupération d’une grande partie de l’électorat de Ciudadanos qui ne présentait pas de liste en 2023, mais surtout par une politique clairement marquée à gauche, n’hésitant pas à promouvoir des lois ou des mesures très clivantes et même parfois minoritaires dans l’opinion, expression de choix idéologiques très forts. Cette manière de raisonner repose sur un présupposé erroné : en politique, les mesures consensuelles et la popularité n’ont guère de valeur électorale. Tout au contraire, c’est l’art de cliver qui importe, car la force d’une politique repose sur sa capacité à satisfaire son électorat et à activer ses soutiens. Ainsi, la force politique de la gauche a été de satisfaire l’électorat de gauche quitte à mobiliser, voire à radicaliser le camp adverse.
Une telle stratégie présente de multiples avantages : les mesures clivantes satisfont les segments de l’électorat de gauche, elles obligent l’adversaire à se positionner dessus, et le conduise à se radicaliser, avec pour effet, de façon rétroactive, de mieux mobiliser encore son propre camp. Les lois clivantes portaient sur la mémoire historique rappelant à quel point le franquisme reste encore aujourd’hui un point de clivage très puissant entre gauche et droite, il coupe l’électorat en deux, la politique d’immigration très généreuse pour la régularisation des sans-papiers, la libération des indépendantistes catalans condamnés, la loi sur le changement de genre à partir de 16 ans. Ces lois portées par la gauche ont été largement approuvées par son électorat, elles ne l’ont pas affaibli, elles ont permis de figer les rapports de force entre un électorat de gauche qui les soutenait et un électorat de droite qui était radicalement opposé.
En résumé, le clivage gauche/ droite, reste puissant et structure tant la demande que l’offre politique et s’y ajoutent des enjeux nationalistes en Catalogne et au Pays basque. La politique nettement ancrée à gauche du gouvernement a eu pour effet de durcir ce clivage et de figer les rapports de force électoraux.
#. En BELGIQUE, le paysage politique est moins polarisé que dans d’autres démocraties, telles que l’Espagne ou la France, mais où quelques différences produisent des paysages politiques radicalement différents en Flandre et dans l’espace francophone. Il faut rappeler toutefois que la Belgique est une création particulière en Europe, c’est un Etat tampon issu des guerres napoléoniennes, un concentré de rapport de forces entre les Pays-Bas, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni et dont l’unité est précaire. Son unité précaire a conduit à des réponses institutionnelles : vote obligatoire pour légitimer les institutions, une organisation politique et sociale, reposant sur des milieux sociaux séparés, des « piliers » fondés sur une même idéologie( catholique, laïque, libéral ou socialiste) encadrant des individus du berceau au tombeau, au travers d’organisations qui leurs sont propres, telles que des écoles, des hôpitaux, des mutualités, des syndicats, des coopératives, des mouvements de Jeunesse, et parfois un parti. Depuis plusieurs décennies, un processus de dépolarisation a été entamé engendrant une restructuration de la société par une ouverture et une reconfiguration des « piliers ».
Sur la plupart des grands sujets qui clivent la société belge : rapport au système, immigration, aux droits individuels, culturalisme et écologie, flamands et wallons communient dans un certain conservatisme. Toutefois, les flamands sont travaillés par la question de l’indépendance, ainsi que du renforcement de l’autonomie du territoire.
Pourtant, ces différences légères aboutissaient , jusqu’à ces dernières élections, à des oppositions majeures d’un point de vue politico électoral . Comment l’expliquer ? Fait notable et majeur qui expliquait les différences en matière électorale : les groupes anti système et populaires, hostile à l’immigration, anti fonctionnaire et autoritaire, votaient à gauche, dans l’espace francophone, tandis qui ils votaient à droite dans l’espace flamand. Ainsi avant les élections législatives de juin 2024 l’espace flamand penchait légèrement à droite par rapport à l’espace francophone. Mais, après les élections de juin 2024, une progression de l’extrême droite flamande, Wlaams Bêlant, s’est révélée bien plus faible qu’attendu grâce au maintien comme premier parti du Parti radical autonomiste, N-VA, en revanche, la Wallonie traditionnellement à gauche a basculé à droite avec l’effondrement des écologistes qui perdent la moitié de leurs sièges, le score historiquement bas du PS et le recul du PTB alors qu’il progresse légèrement en Flandre.
Par rapport aux élections de 2019, les partis traditionnels offrent une certaine résistance en Flandre mais pas en Wallonie. La bipolarisation entre une Flandre à droite et une Wallonie à gauche qui marquait l’existence de mondes politiques différents dans le pays a disparue avec les élections de juin 2024. Les négociations pour la formation d’un gouvernement viennent d’aboutir avec la formation d’un gouvernement de droite soutenu par une coalition Arizona.
#. Au ROYAUME-UNI, on enregistre la deuxième pire défaite des Conservateurs depuis la seconde guerre mondiale. En l’espace de cinq ans , les conservateurs sont passés de 356 sièges à 121, et de 14 millions d’électeurs à 6,7 millions , soit une baisse de 20 points dans les urnes et une déperdition de voix inédite dans l’histoire britannique.
Le parti a été pris en tenaille sur sa droite et sur sa gauche. Seuls 52 % des électeurs de 2019, lui sont restés fidèles tandis que 23 %, ont fait le choix d’un candidat extrême droite, Reform. A leur gauche, 13 % ont soutenu le Labour et 7 % les libéraux démocrates. La claque se répartit de façon uniforme sur le territoire du royaume uni.
Mais s’agit-il vraiment d’une vague Labour? Les travaillistes retrouvent, le pouvoir en position de force avec 412 des 650 sièges de la chambre des communes. C’est un triomphe et la plus ample victoire du Labour depuis Tony Blair et ses 418 sièges en 1997. La victoire du Labour impressionne d’abord par son uniformité à travers le pays. Il est en tête dans toutes les catégories sociaux professionnelles, ethnique et d’âge à l’exception des électeurs de + de 65 ans.
Cependant, malgré l’ampleur de cette victoire avec 33,8 % des voix, il fait à peine mieux que les 32,1 % obtenus en 2019 et nettement moins que les 40 % glanes en 2017. Ce gain de sièges considérable est dû principalement à l’écroulement du parti conservateur plus qu’à une vague du Labour.
Par ailleurs, on note le retour au premier plan de la politique britannique de Nigel Farage, le chantre du Brexit Party devenu Reform qui récolte environ 6 millions de voix et disposera de 5 sièges, soit moins de 1 % des sièges pour 14 % des suffrages exprimés. Ce vote et sans surprise très fortement lié au vote Brexit de 2016 : plus on a voté Brexit en 2016 dans sa circonscription plus celle-ci a plébiscité Reform en 2024. Un front uni avec les Conservateurs n’aurait pas permis à ceux-ci de limiter la casse selon un sondage sorti des urnes.
Moins visible sont les cinq députés indépendants de gauche qui ont été élus dont l’ancien leader travailliste Jérémy Corbyn. Les candidats indépendants ont fait mal aux travaillistes en éliminant des figures importantes de ce parti. Ils ont fait campagne sur le conflit, Israël Hamas et les positions travaillistes, jugées trop favorables à Tel-Aviv. Ce discours aura eu une forte résonance chez les électeurs musulmans dans les circonscriptions avec une population qui compte au moins 15 % de musulmans, le Labour y a perdu en moyenne 19 % des voix exprimées par rapport à 2019. La stratégie de Corbyn a donc payé, plus une circonscription compte de musulmans, plus le Labour y aura perdu des voix.
La domination électorale du duopole traditionnel, travailliste et conservateur est en train de se lézarder.
Avec 58 % des voies cumulées, c’est le plus faible total enregistré depuis 1918, et une chute de 20 points par rapport à 2019. Et cela semble être une tendance : un député élu en 2024 à en moyenne 6700 voix d’avance contre 11 200 en 2019.
En pratique, les Travaillistes n’étaient finalement qu’à 83 000 voix, bien réparties à travers le pays de basculer d’une large majorité à un parlement bloqué sans majorité.
Le gouvernement travailliste est entièrement composé de personnalités politiques qui avaient voté pour le maintien dans l’Europe lors du référendum. Les travaillistes souhaitent une relation plus étroite avec l’Union européenne et les États membres fondée sur des partenariats, notamment en matière de sécurité et de politique étrangère. Il est favorable au respect de l’autorité de la Cour européenne de justice.
Le Labour a promis de s’attaquer aux problèmes de la santé et de la Défense tout en réduisant la dette et le déficit et sans augmenter les impôts. Pour cela, il compte sur le redémarrage de la croissance économique.
Ces élections marquent l’agonie des nationalistes écossais qui retrouvent seulement 9 sièges sur les 48 qu’ils avaient gagné en 2009 et sur les 57 sièges écossais. La perspective d’un second référendum sur l’indépendance semble désormais s’éloigner pour un temps, d’autant que les sondages donnent une majorité aux unionistes.
Pour les Verts avec 7%et 3 sièges , il s’agit d’un record historique.
Enfin, les Libéraux, un des grands partis politiques britanniques ayant fourni de nombreux premiers ministres, avec 11% des voix et 11% des sièges , soit 72 élus , retrouvent la troisième place à Westminster.
#. Aux ÉTATS-UNIS : quelques éléments clefs permettent de comprendre la victoire de Trump.
En 2020, Joe Biden l’avait emporté avec 306 grands électeurs contre 232 pour Donald Trump. Mais cette large avance au collège électoral, cachait des marges très étroites en voix dans les Etats charnières : 10 000 à 20 000 voix d’avance seulement en Arizona, en Géorgie, dans le Wisconsin. S’il avait gagné ses trois états, en 2020, Trump aurait fait jeu égal avec Biden au collège électoral. Il a manqué 205 000 voix à Harris, répartis dans trois Etats pour emporter l’élection, son score a reculé de 1% à 3 % par rapport à Biden dans une série d’État clefs, donnant la victoire à Trump dans les sept principaux : Arizona, Géorgie, Michigan, Nevada, Caroline-du-Nord Pennsylvanie, Wisconsin. Autre conséquence de ce recul général,Trump a ,pour la première fois, remporté le vote populaire.
La participation est estimée à environ 65 %, proche du record de 2020, 65,9 %. La participation plus forte dans les villes que dans les zones rurales semble avoir profité à Trump.
Les flux entre les électorats démocrates et Républicain sont limitées. Seul 5 % des anciens électeurs de Biden en 2020 auraient voté en 2024 pour Trump, tandis que seuls 3 % des anciens électeurs de Trump ont voté en 2024, pour Biden. Cette faible capacité à convaincre les électeurs du bord opposé est un échec pour Harris, qui avait notamment espéré gagner la confiance d’une partie de l’électorat féminin conservateur et avait mis en avant la question de l’interruption volontaire de grossesse sur laquelle elle apparaissait plus en phase avec l’opinion publique. Finalement, les sondages de sortie des urnes ne montrent aucun mouvement significatif en ce sens. Pourtant dans certains États, des votes sur le droit à l’avortement ont été approuvés même dans des États dominés par les Républicains.
Les sondages laissaient anticiper un écart entre les sexes considérables. Pourtant, si le vote féminin en faveur de Harris dépasse celui de Trump dans 6 États clefs, la marge légèrement plus élevée en faveur des hommes dans les autres États fait que le déséquilibre plus important dans l’électorat masculin a été favorable à Trump.
Le recul des Démocrates est général : hormis dans l’Etat de Washington . Les Républicains progressent partout particulièrement dans les États les plus peuplés, indépendamment de la couleur partisane. Cette chute générale du soutien aux Démocrates explique la perte du vote populaire, inédit depuis la victoire de George W. Bush en 2024.
La répartition entre les deux candidats des électeurs s’identifiant comme blanc a peu change entre 2020 et 2024: 57 % de l’électorat blanc a choisi Trump et 41 % les démocrates. Il en est de même au sein de l’électorat noir qui a très peu évolué : 85 % pour Harris et 13 % pour Trump. Au sein de l’électorat hispanique, en revanche, l’évolution a été majeure : alors que les électeurs latinos étaient favorables à 65 % à Biden en 2020, contre 32 % à Trump, en 2024 l’avantage des démocrates c’est fortement réduit à 52 % contre 46 %. Si on croise le genre et l’identification ethnique, ce sont les hommes hispaniques qui ont le plus fortement basculé et inverse la tendance. Chez les femmes, l’évolution existe, mais est d’une ampleur moindre. Symbole de cette évolution, un comte du Texas, le plus hispanique du pays à 97,7 % a été remporté pour la première fois par un candidat Républicain avec 57,7 % des voix contre seulement 41,8 % pour Harris. Les gains de Trump dans l’électorat latino peuvent être reliés à leur plus grand intérêt pour les questions économiques et de sécurité, sur lesquelles Le Républicain a fondé sa campagne. Dans un contexte de faible perméabilité entre les électorats et de marges de victoire étroite, cette évolution pourrait avoir décidé l’élection.
Biden est le premier président américain catholique depuis Kennedy. En 2020, il avait remporté le vote des catholiques avec 5 points d’avance (52%), une avance principalement due au soutien de l’électorat latino. Cette fois, c’est Trump qui l’a très largement emporté dans cet électorat avec 58% et 18 points d’avance. Cette progression s’explique par le renversement de l’électorat hispanique et par la progression de Trump dans l’électorat blanc catholique, de 56 à 61 %.
La relation au christianisme semble avoir davantage polarisé les électorats américains. Le soutien à Trump s’est accru parmi les électeurs protestants comme catholiques. Pendant la campagne, Trump s’est mis en scène à plusieurs reprises en compagnie de prédicateurs évangélistes. Il a mis, aussi, en avant son soutien aux valeurs de l’église romaine. Le vice-président Vance s’est quant à lui converti au catholicisme en 2019 après avoir été élevé dans une famille protestante.
Les démocrates perdent des voix dans les comtés les plus riches : Manhattan, San Francisco, Santa Clara, et en Virginie.
Enfin, dans les comtés les plus peuplés Trump gagne 2 millions de voix, ces comtés ont la particularité d’avoir une population hispanique très importante : Los Angeles, Dallas, San Diego. Le même phénomène s’observe dans la plupart des grands centres urbains : Chicago, Boston, Denver ou la participation et le vote démocrate recule massivement, tandis que le nombre d’électeurs de Trump demeure stable où s’accroît.
Enfin, et surtout, l’inflation a joué un rôle important, car elle affecte directement le pouvoir d‘achat des électeurs et leur perception de l’économie. Trump a utilisé l’inflation comme un argument majeur. Il a affirmé que les politiques démocrates, notamment les dépenses publiques et la transition énergétique ont contribué à la hausse des prix. Les hausses des prix de l’essence, de l’alimentation et des loyers touchent particulièrement les classes moyennes et populaires qui sont nombreuses dans les États charnières, alors que Trump s’est présenté comme le candidat « pro- économie » et « anti establishement ».
Cette analyse détaillée fait ressortir que Trump a pu compter sur des gains importants dans les électorats hispaniques et catholiques, dans certaines fractions aisées des métropoles, mais aussi des classes moyennes dans les États charnières et parmi les nouveaux votants. Trump représente l’Amérique profonde qui rejette les élites qu’elle juge de plus en plus déconnectée de la réalité. C’est une victoire populaire qui affecte toutes les démocraties occidentales. Mais sa victoire a aussi été la défaite de Harris : la démobilisation des électeurs démocrates urbains et un vote des femmes en sa faveur moins important ont joué contre la candidate qui n’a pas su attirer en nombre l’électorat modéré.
Les résultats de ces élections générales européennes et américaines et les soubresauts politiques qui en résultent, ou en sont la cause, donnent la sensation d’un chamboulement politique et des équilibres géopolitiques et quel que soit le mode de scrutin : majoritaire à un tour, majoritaire à deux tours, à la proportionnelle, ou suite à la désignation de grands électeurs.
La différence entre les démocraties et les régimes autoritaires est l’alternance qui permet aux citoyens de choisir leurs dirigeants et d’en changer s’ils le désirent.
Face à la montée des extrêmes, tout discours rationnel serait-il donc vain? La violence progresse dans le débat politique comme dans la société. La parole publique ne pèse plus lourd. Les médias débordés par les réseaux sociaux tentent d’imposer leur vérité plus qu’ils n’informent. Le recul des idées démocratiques dans le monde s’explique par l’excès d’individualisme dans nos sociétés occidentales qui ne portent pas de projet collectif.
La démocratie revêt de nombreuses formes, et beaucoup de démocraties concrètes souffrent actuellement d’incapacité à formuler les problèmes politico économiques pertinents et a fortiori à les résoudre. C’est le cas de plusieurs pays européens, dont la France. Les démocraties contemporaines seraient remises en question aujourd’hui en raison de leur manque d’efficacité. Leurs gouvernements ne répondraient pas suffisamment aux attentes de leurs peuples, qu’il s’agisse de l’économie ou de questions comme les migrations. Le défi principal porterait sur un sursaut d’efficacité.
Donald Trump, Elon Musk ou JD Vance ne sont ni historiens, ni philosophes. Ils raisonnent en termes d’objectifs et la force tient lieu de stratégie. Leurs interventions en Allemagne sont l’expression d’une attaque en règle contre la liberté d’expression. L’économie est au centre de leurs raisonnements, notamment l’accès aux ressources qu’il s’agisse de celles de l’Ukraine, du Groenland ou de Panama. Leur souverainisme est très mercantile. Ils ne comprennent pas que les partis d’extrême droite réveillent le spectre du fascisme et du nazisme en Europe. Ils voient dans le consensus des partis modérés une manœuvre anti démocratique pour les exclure du pouvoir. Ils jugent que c’est l’inefficacité de ces partis modérés qui expliquent la montée de l’extrême droite. Les européens y voient une ingérence inédite et inacceptable dans leurs affaires intérieures.
En Allemagne, les prochains mois seront cruciaux pour l’avenir de l’Europe. La CDU /CSU et le SPD vont devoir former une grande coalition suffisamment efficace pour redresser l’économie, apporter des réponses claires sur la défense européenne et son financement, sur l’immigration et élaborer une nouvelle doctrine sur les déficits budgétaires.
La France doit retrouver une stabilité politique après la dissolution du 9 juin pour redresser sa situation budgétaire, ses comptes sociaux avec les retraites et définir une politique migratoire. Il faut avoir un débat honnête sur l’immigration et ses implications économiques.
Toutes ces évolutions reflètent un cheminement au long cours qui conduit à des incertitudes et des questionnements dans un monde complexe .
A quelles conditions telle ou telle forme de gouvernance considérée comme démocratique peut-elle favoriser l’identification des problèmes intérieurs ou extérieurs qui se posent ? A quelle condition une telle forme peut-elle les résoudre ? La démocratie peut-elle survivre quand elle devient impuissante ? La démocratie n’a pas évidemment le monopole de ce questionnement. La démocratie n’est pas une fin en soi, mais un type de moyens adapté à un certain type de fins.
(1) Jean- Yves Dormagen, est le Président et fondateur de l’institut de sondage Cluster17. Il est également professeur de sciences politiques à l’Université de Montpellier. Il a mis au point une méthode de clusterisation permettant de comprendre comment se structure la demande électorale. Qu’attendent les électeurs ? Quelles sont les questions et les enjeux les plus importants pour eux? Quelles sont les logiques de leurs choix électoraux? Les positions des individus sur les grandes divisions qui traversent une société sont le facteur le plus déterminant de leurs choix électoraux. C’est ainsi qu’il livre une analyse des groupes qui composent les coalitions allemandes, françaises, italiennes, espagnoles, anglaise , belges et américaines, ce qui les unit et ce qui les divise pour la revue numérique Le Grand Continent.
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