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« Berlin, le 9 novembre 1989, un mur tombe dans l’euphorie pour la liberté, depuis s’emmurer est devenu une frénésie planétaire, pour quels résultats ? « par Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne

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il y a 35 ans, des scènes d’euphories accompagnaient la chute du mur. Élément iconique du « rideau de fer » qui séparait alors l’Europe, ce mur de briques et de barbelés érigé en une nuit en août 1961 avait pour but d’empêcher les départs vers l’ouest. Une douzaine de murs hérissait alors les frontières et territoires disputés au sortir de la guerre froide. Aujourd’hui, on en dénombre plus de 70.

 
A la suite de la chute du « Mur de Berlin », pour certains, c’était la fin de l’histoire, c’est-à-dire la victoire de la démocratie et du libéralisme sur le communisme et les régimes autoritaires. Or, ériger des murs est aujourd’hui la norme, plus que l’exception. Leurs finalités sont diverses : délimiter une zone de cessez-le-feu (Corée Chypre, Georgie,), empêcher l’intrusion de combattants (Turquie, Israël, Inde, Arabie Saoudite, Pakistan), ou lutter contre l’immigration clandestine (Pologne, Hongrie, Espagne, Grèce, Inde, États-Unis), et la contrebande d’armes ou de drogues (États-Unis, Espagne…). 
Certains murs sont situés en zone de guerre, sur des territoires contestés, d’autres entre deux Etats en paix. Certains se limitent à des grillages barbelés ou des blocs de béton (États-Unis, Jérusalem, Pologne) d’autres à des déploiements de technologies virtuelles (Union Européenne) ou d’importantes patrouilles maritimes (Union Européenne).
Ces murs font partie de dispositifs de sécurité, comprenant également des postes de contrôle, des technologies diverses, des centres d’enfermement, des lois, des procédures et règlements régissant l’accès à un territoire mais aussi des discours le justifiant. À la fois infrastructure, pratique et discours, les murs contemporains ont pour dénominateur commun, leurs fonctions d’obstacle, de contrôle et de filtrage, des mobilités humaines vers un territoire.

 
Partout, leur érection est controversée, et fait l’objet de rapports de force entre élus nationaux, décideurs locaux, professionnels de la sécurité, mais aussi avec les acteurs économiques, ONG, et défenseur des droits.


Le mur d’aujourd’hui se situe donc au croisement de plusieurs logiques : outils sécuritaires, au sein de stratégies de défense du territoire, laboratoire de technologie de pointe, filtre des mobilités désirables économiquement notamment, débats politiques européens ou/et nationaux mettant en scène la capacité de contrôle de l’État, espaces de mort ou le droit d’asile, le droit humanitaire sont en jeu.


Cette même idée de murer les frontières contre des envahisseurs proteiformes, séduit partout, dans des contextes, pourtant très divers. En 2016 aux États-Unis, le mur de Trump représente une surenchère dans une affaire de politique intérieure. En Europe aussi, les murs pullulent tant aux frontières extérieures de l’espace Schengen que celles intérieures, au point d’éroder le projet de libre circulation européenne. Ils reflètent une volonté du contrôle de nombreux gouvernements. L’idée s’ancre que le contrôle frontalier permettrait d’offrir une protection contre les menaces extérieures. Et ce, d’autant plus dans un contexte de réaffirmation à l’Est d’une Russie, menaçante. Pourtant dans un contexte plus conflictuel, Israël a privilégié l’emmurement des territoires palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie pour officiellement juguler des tensions, et surtout lutter contre le terrorisme depuis la fin des années 1990, En réalité, 20 ans, plus tard, le constat face à chaque nouvel attentat et, en dernier lieu après l’attentat terroriste du 7 octobre, a été que la « barrière » est réellement poreuse, et que l’armée le sait. Le mur est contourné, de mille manières.

##. Les murs, seraient-ils les symptômes de nos échecs collectifs ? 


Les murs sont coûteux, largement inefficaces dans leur fonction de contrôle des mobilités. Le mur ne peut donc se comprendre dans une tentative seule de défense, face à des envahisseurs ou dans l’arrêt d’une invasion ou de violence. Le mur parle plus des sociétés qui s’emmurent qu’il ne résout les dangers globaux. Il est surtout synonyme d’échecs, collectif, ou pluriel.


Tout d’abord, il échoue à pacifier durablement les relations entre communautés séparées. Ils offrent une forme de « paix négative » qui jugule les violences et l’émigration, sans fournir le cadre d’une « paix positive » en agissant sur leur cause structurelle. Autrement dit, le mur ne s’attaque pas aux raisons des mobilités des violences. Il offre ainsi une illusion de sécurité, en gérant les frictions, les repoussants de l’autre côté.
Ensuite, le mur oublie la relation aux voisins et aux personnes en mobilité tout en offrant par cette réponse sécuritaire, une apparence d’isolement et de domination. Le mur n’est pas un signe de victoire sécuritaire ou de tarissement des migrations car il n’enlève pas la capacité d’action à la partie entravée. Le mur consacre donc des échecs de la conciliation bilatérale ou multilatérale sur des enjeux qui dépassent les seuls frontières d’un État. En cela, l’emmurement du monde interroge nécessairement la crise du multilatéralisme contemporain, notamment des mécanismes de sécurité collective et des valeurs libérales, comme le respect des droits de l’homme, du droit international et d’asile par les états.
Enfin, le mur alimente le rapport conflictuel entre société et État, dans de nombreux pays emmures. Le mur renvoie plutôt aux mutations contemporaines des Etats, moins enclins à contraindre l’activité économique et davantage arc-bouté sur le domaine régalien, la défense et la sécurité. Ils questionnent surtout leur capacité à agir sur les conflits, les migrations, les enjeux globaux.


Les États semblent surinvestir le contrôle frontalier à défaut de produire des politiques de régulation pour organiser le rapport à l’étranger. La frontière, l’étranger ne peuvent être réduit à une ligne à défendre et à un « problème ». 


##. Quelles alternatives aux murs ? 


Nombre d’acteurs politiques, économiques et associatifs rappellent les Etats à leurs obligations juridiques et démocratiques. Comment articuler ces considérations morales et juridiques à l’expression de la souveraineté étatique, son tri, des mobilités et ses actions de défense ? Si le contrôle des frontières est une priorité pour les pays du Nord, ce n’est pas le cas pour les pays du Sud, qui ont au contraire, ont besoin de l’immigration pour contribuer à leur développement. L’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Pologne ont beaucoup bénéficié durant le siècle précédent, de ces mouvements migratoires, et encore aujourd’hui près de 500 000 jeunes italiens émigrent. Comment alors se démarquer de l’obsession sécuritaire des pays développés et envisager l’immigration de travail légale, lesquelles bénéficieraient à tous les pays. Comment protéger les parcours migratoires, sans pour autant, insister sur les droits des migrants, comme le droit d’asile, que les états du Nord perçoivent comme obstacle à la mise à distance des migrants. Comment valoriser des procédures d’aller-retour, bénéfiques entre pays d’origine et d’installation comme il en existe entre la France et le Maroc. L’ouverture des frontières permettrait de mettre fin aux morts en migration, la Méditerranée et la Manche ne seraient plus un cimetière, tout en rendant l’activité des passeurs inopérante.

L’encadrement et la généralisation des circulations permettrait de faire disparaître les phénomènes de clandestinité, les passeurs, et de concurrence déloyale entre travailleurs. Cette ouverture accroîtrait aussi les revenus envoyés vers les sociétés en développement tout en répondant aux besoins en main-d’œuvre des sociétés vieillissantes. C’est le sens de la promotion des « migrations circulaires » proposées par le Premier ministre espagnol lors d’une visite en Afrique de l’Ouest. 


L’inclusion des immigrés ouvrirait un chantier de revitalisation de nos démocraties et de nos économies, surtout européennes, qui compte tenu de la démographie et du vieillissement des populations va nécessiter la venue de travailleurs étrangers pour assurer les besoins de main d’œuvre qualifiée et non qualifiée. Le rapport Draghi sur l’avenir de l’Europe évalue à 4 millions la perte de travailleurs du fait du vieillissement de la population européenne. 
Alors pourquoi s’emmurer, alors que de telles mesures transformeraient notre rapport à la frontière, permettant de la désacraliser, pour mieux, développer d’autres grammaires et pratiques pour vivre la relation avec l’étranger, de façon plus paisible dans l’intérêt de tous.Berlin, le 9 novembre 1989, un mur tombe dans l’euphorie pour la liberté, depuis s’emmurer est devenu une frénésie planétaire, pour quels résultats ? 

il y a 35 ans, des scènes d’euphories accompagnaient la chute du mur. Élément iconique du « rideau de fer » qui séparait alors l’Europe, ce mur de briques et de barbelés érigé en une nuit en août 1961 avait pour but d’empêcher les départs vers l’ouest. Une douzaine de murs hérissait alors les frontières et territoires disputés au sortir de la guerre froide. Aujourd’hui, on en dénombre plus de 70.

 
A la suite de la chute du « Mur de Berlin », pour certains, c’était la fin de l’histoire, c’est-à-dire la victoire de la démocratie et du libéralisme sur le communisme et les régimes autoritaires. Or, ériger des murs est aujourd’hui la norme, plus que l’exception. Leurs finalités sont diverses : délimiter une zone de cessez-le-feu (Corée Chypre, Georgie,), empêcher l’intrusion de combattants (Turquie, Israël, Inde, Arabie Saoudite, Pakistan), ou lutter contre l’immigration clandestine (Pologne, Hongrie, Espagne, Grèce, Inde, États-Unis), et la contrebande d’armes ou de drogues (États-Unis, Espagne…). 
Certains murs sont situés en zone de guerre, sur des territoires contestés, d’autres entre deux Etats en paix. Certains se limitent à des grillages barbelés ou des blocs de béton (États-Unis, Jérusalem, Pologne) d’autres à des déploiements de technologies virtuelles (Union Européenne) ou d’importantes patrouilles maritimes (Union Européenne).
Ces murs font partie de dispositifs de sécurité, comprenant également des postes de contrôle, des technologies diverses, des centres d’enfermement, des lois, des procédures et règlements régissant l’accès à un territoire mais aussi des discours le justifiant. À la fois infrastructure, pratique et discours, les murs contemporains ont pour dénominateur commun, leurs fonctions d’obstacle, de contrôle et de filtrage, des mobilités humaines vers un territoire.

 
Partout, leur érection est controversée, et fait l’objet de rapports de force entre élus nationaux, décideurs locaux, professionnels de la sécurité, mais aussi avec les acteurs économiques, ONG, et défenseur des droits.


Le mur d’aujourd’hui se situe donc au croisement de plusieurs logiques : outils sécuritaires, au sein de stratégies de défense du territoire, laboratoire de technologie de pointe, filtre des mobilités désirables économiquement notamment, débats politiques européens ou/et nationaux mettant en scène la capacité de contrôle de l’État, espaces de mort ou le droit d’asile, le droit humanitaire sont en jeu.


Cette même idée de murer les frontières contre des envahisseurs proteiformes, séduit partout, dans des contextes, pourtant très divers. En 2016 aux États-Unis, le mur de Trump représente une surenchère dans une affaire de politique intérieure. En Europe aussi, les murs pullulent tant aux frontières extérieures de l’espace Schengen que celles intérieures, au point d’éroder le projet de libre circulation européenne. Ils reflètent une volonté du contrôle de nombreux gouvernements. L’idée s’ancre que le contrôle frontalier permettrait d’offrir une protection contre les menaces extérieures. Et ce, d’autant plus dans un contexte de réaffirmation à l’Est d’une Russie, menaçante. Pourtant dans un contexte plus conflictuel, Israël a privilégié l’emmurement des territoires palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie pour officiellement juguler des tensions, et surtout lutter contre le terrorisme depuis la fin des années 1990, En réalité, 20 ans, plus tard, le constat face à chaque nouvel attentat et, en dernier lieu après l’attentat terroriste du 7 octobre, a été que la « barrière » est réellement poreuse, et que l’armée le sait. Le mur est contourné, de mille manières.

##. Les murs, seraient-ils les symptômes de nos échecs collectifs ? 


Les murs sont coûteux, largement inefficaces dans leur fonction de contrôle des mobilités. Le mur ne peut donc se comprendre dans une tentative seule de défense, face à des envahisseurs ou dans l’arrêt d’une invasion ou de violence. Le mur parle plus des sociétés qui s’emmurent qu’il ne résout les dangers globaux. Il est surtout synonyme d’échecs, collectif, ou pluriel.


Tout d’abord, il échoue à pacifier durablement les relations entre communautés séparées. Ils offrent une forme de « paix négative » qui jugule les violences et l’émigration, sans fournir le cadre d’une « paix positive » en agissant sur leur cause structurelle. Autrement dit, le mur ne s’attaque pas aux raisons des mobilités des violences. Il offre ainsi une illusion de sécurité, en gérant les frictions, les repoussants de l’autre côté.
Ensuite, le mur oublie la relation aux voisins et aux personnes en mobilité tout en offrant par cette réponse sécuritaire, une apparence d’isolement et de domination. Le mur n’est pas un signe de victoire sécuritaire ou de tarissement des migrations car il n’enlève pas la capacité d’action à la partie entravée. Le mur consacre donc des échecs de la conciliation bilatérale ou multilatérale sur des enjeux qui dépassent les seuls frontières d’un État. En cela, l’emmurement du monde interroge nécessairement la crise du multilatéralisme contemporain, notamment des mécanismes de sécurité collective et des valeurs libérales, comme le respect des droits de l’homme, du droit international et d’asile par les états.
Enfin, le mur alimente le rapport conflictuel entre société et État, dans de nombreux pays emmures. Le mur renvoie plutôt aux mutations contemporaines des Etats, moins enclins à contraindre l’activité économique et davantage arc-bouté sur le domaine régalien, la défense et la sécurité. Ils questionnent surtout leur capacité à agir sur les conflits, les migrations, les enjeux globaux.


Les États semblent surinvestir le contrôle frontalier à défaut de produire des politiques de régulation pour organiser le rapport à l’étranger. La frontière, l’étranger ne peuvent être réduit à une ligne à défendre et à un « problème ». 


##. Quelles alternatives aux murs ? 


Nombre d’acteurs politiques, économiques et associatifs rappellent les Etats à leurs obligations juridiques et démocratiques. Comment articuler ces considérations morales et juridiques à l’expression de la souveraineté étatique, son tri, des mobilités et ses actions de défense ? Si le contrôle des frontières est une priorité pour les pays du Nord, ce n’est pas le cas pour les pays du Sud, qui ont au contraire, ont besoin de l’immigration pour contribuer à leur développement. L’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Pologne ont beaucoup bénéficié durant le siècle précédent, de ces mouvements migratoires, et encore aujourd’hui près de 500 000 jeunes italiens émigrent. Comment alors se démarquer de l’obsession sécuritaire des pays développés et envisager l’immigration de travail légale, lesquelles bénéficieraient à tous les pays. Comment protéger les parcours migratoires, sans pour autant, insister sur les droits des migrants, comme le droit d’asile, que les états du Nord perçoivent comme obstacle à la mise à distance des migrants. Comment valoriser des procédures d’aller-retour, bénéfiques entre pays d’origine et d’installation comme il en existe entre la France et le Maroc. L’ouverture des frontières permettrait de mettre fin aux morts en migration, la Méditerranée et la Manche ne seraient plus un cimetière, tout en rendant l’activité des passeurs inopérante.

L’encadrement et la généralisation des circulations permettrait de faire disparaître les phénomènes de clandestinité, les passeurs, et de concurrence déloyale entre travailleurs. Cette ouverture accroîtrait aussi les revenus envoyés vers les sociétés en développement tout en répondant aux besoins en main-d’œuvre des sociétés vieillissantes. C’est le sens de la promotion des « migrations circulaires » proposées par le Premier ministre espagnol lors d’une visite en Afrique de l’Ouest. 


L’inclusion des immigrés ouvrirait un chantier de revitalisation de nos démocraties et de nos économies, surtout européennes, qui compte tenu de la démographie et du vieillissement des populations va nécessiter la venue de travailleurs étrangers pour assurer les besoins de main d’œuvre qualifiée et non qualifiée. Le rapport Draghi sur l’avenir de l’Europe évalue à 4 millions la perte de travailleurs du fait du vieillissement de la population européenne. 
Alors pourquoi s’emmurer, alors que de telles mesures transformeraient notre rapport à la frontière, permettant de la désacraliser, pour mieux, développer d’autres grammaires et pratiques pour vivre la relation avec l’étranger, de façon plus paisible dans l’intérêt de tous.