Les réseaux sociaux : Fabrique des opinions et de la démocratie, alliés ou ennemis de la démocratie ? de Guy MALHERBE, ancien député de l’Essonne.
AVERTISSEMENT. Cette note que j’ai rédigée, a pour but de partager deux événements importants et d’interroger notre sens critique sur un sujet de pleine actualité et porteur d’enjeux essentiels.
Cette note est la synthétise des interrogations très précises et pertinentes qui ont fait l’objet de la 32 ° Journée du Livre politique organisée à l’Assemblée nationale par Lire la Société en Mars 2023, à laquelle j’ai assisté, sur le thème « Réseaux sociaux : alliés ou ennemis de la démocratie? » , et d’une conférence organisée en Octobre 2022 par la Fondation Res Publica , reconnue d’utilité publique sur le thème « Fake News, fabrique des opinions et démocratie » , et des réponses toutes aussi pertinentes et savantes apportées par les nombreuses personnalités et invités-intervenants, qui ont animés les débats de ces deux événements.
Bonne lecture.
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Pour la première fois de son histoire avec internet, l’homme dispose d’une adresse non territoriale . Il est en relation avec le mode entier et sans cesse accessible, il ne connaît plus de frontières. Les distances et les barrières sont abolies.
Les nouvelles technologies transforment nos modes de vies, de consommation,nos relations,mais aussi l’économie, notre approche de l’environnement,de la culture ,de la lecture, et nos pratiques sociales . L’information est au centre de cette révolution : elle est désormais numérisée et peut-être transmise sur toutes sortes d’appareils de manière quasi instantanée. L’offre d’information s’est ainsi démultipliée y compris les sources et les modes de sa production. En s’emparant de l’image et de la parole, tout citoyen peut devenir acteur au sein de la démocratie . La connaissance est à portée de main. Le monde semble en notre possession. Cette fabuleuse toile permet un savoir sans limite dès le plus jeune âge . Toutes les générations confondues ont accès à la culture et ne s’en prive pas pour la diffuser, parfois sans demi mesure.
L’accumulation massive des données numériques fournies gratuitement par les usagers, le Big data, fait naître de nouveaux géants économiques qui défient notre rapport aux libertés individuelles et à la souveraineté nationale . C’est une industrie de masse à la mémoire infaillible. Le nouveau capitalisme des plateformes numériques transforment profondément le capitalisme. Nous avons confié le soin à d’immenses empires financiers d’animer et de faire vivre la liberté d’expression et l’économie mondiale.
Pourtant, si la technologie est neutre ,son usage ne l’est pas. les réseaux sociaux sont apparus ,au cours de la décennie écoulée,comme un facteur de division et de radicalisation : en 280 caractères,la nuance s’efface au profit du buzz, le dialogue se mue en comportement de meute hurlante,haineuse, antisémite, complotiste, raciste, anti démocratique . Pour certains, les réseaux sociaux seraient devenus « des égouts à ciel ouvert ». Aussi, si les réseaux peuvent effrayer, l’adjectif »sociaux » pose à juste titre question. De qu’elle sociabilité parle t on lorsque l’invective, l’insulte s’invitent couramment, et que les prédateurs,les pedophiles ,les proxénètes ,et des arnaques juteuses y trouvent leur outil parfait ,
Célébrés ou décriés, les plateformes numériques et les réseaux sociaux ne laissent personne indifférent. « C’est le pire et le meilleur »,dit Bruno Jeudy, éditorialiste à BFMTV, où « C’est infect, mais c’est comme ça que ça marche. Le système actuel de formation des opinions passe par ça «constate Jean-Louis Bourlanges, député et président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.
Ils jouent un rôle majeur dans nos sociétés. Ils ouvrent la voie à un nouveau rapport aux informations disponibles sur internet. Ainsi, les quatre plateformes du groupe Meta ( Google,Apple, Amamazon et Microsoft) touchent chaque mois en France plus de 45 millions d’utilisateurs ,soit les deux tiers de la population de notre pays ,et les français consacrent en moyenne 1h46 par jour aux réseaux sociaux.
Pour toutes ces raisons, la synthèse « Réseaux sociaux : fabrique des opinions et démocratie, alliés ou ennemis de la démocratie ? interrogent fortement notre sens critique sur les informations présentées sur les réseaux sociaux.
C’est ce que nous allons explorer avec cette note de synthèse pour rechercher la vérité…sans être sûrs de la trouver,comme le précise en introduction Jean-Pierre Chevenement.
##. Une formidable utopie premptee par une poignée d’industriels, propriétaires de plateformes numériques.
Avant de constituer l’infrastructure centrale du capitalisme au XXI siècle, l’internet fut au temps des années 90 une formidable utopie , la promesse d’un libre partage de tous les savoirs du monde, lieu de l’instruction permanente, du débat public et de la délibération collective .
Trente ans plus tard, ces espoirs sont douchés. Le miracle d’un internet citoyen n’a pas eu lieu. À la place , la fonction sociale du réseau a été préemptée par une poignée d’industriels occidentaux, les GAFAM, (Google, Amazone, Facebook, Apple, Microsoft ), chinois, avec BATX ( BAidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi ) et TikTok dont la maison mère ByteDance International est enregistrée aux Iles Caïmans , et sans oublier les russes et les israéliens.
Rencontres amoureuses, vente de produits, mobilité, publicité, conversations,….les plateformes sont partout, loin de se limiter aux échanges marchands, le phénomène s’étend aussi à l’espace société et au débat public. Une évolution qui suscite des interrogations. Ces plateformes privées organisent la production et les échanges. Elles s’appuient sur les caractéristiques d’une société et de l’homme connecté en combinant les effets de la mise en réseau et de l’accès à des données en grande quantité, le big data.
Leur développement rapide et leur emprise croissante sur différents pans de la société invite à repenser leur régulation. Par ailleurs, elles ne sont pas sans interroger les institutions existantes dans leur fonctionnement et leurs finalités, un questionnement qui concerne aussi bien les entreprises que l’Etat, les collectivités publiques, et l’action publique en général . Les plateformes étant devenues un espace démocratique se pose la question des règles de son organisation .
Le développement des plateformes invite à repenser les modes d’actions privés et publics à l’ère numérique et conduit certains à considérer cette phase comme une transformation profonde du capitalisme par les pouvoirs économiques, politiques et sociaux que ce développement sans frontières donne aux plateformes numériques échappant aux entreprises et à la souveraineté nationale des États ( Cahiers français : le règne des données ).
##. Des plateformes numériques avec pour fondement la marchandisation des relations sociales.
Deux phénomènes sont au cœur des nouveaux modèles d’organisation des plateformes : la mise en réseau et la « mise en données ». Elles exploitent les effets de réseau, la valeur d’un réseau augmente avec le nombre d’utilisateurs, et des données massives, le big data. Dans le même temps, elles structurent de larges écosystèmes, communication, information, publicité, politique, etc…auxquels elles fournissent un espace d’échanges mais aussi d’innovation.
Les plateformes sont donc bien plus qu’une entreprise, elles sont des metaorganisations dans le sens où elles organisent et gèrent des marchés, développent et animent des écosystèmes qui dépassent les frontières traditionnelles de l’entreprise, et les frontières des États, avec pour logique économique la marchandisation des relations sociales des usagers à partir des informations que nous publions volontairement, ou non, sur les réseaux sociaux et qui permettent un ciblage publicitaire personnalisé grâce à la puissance des algorithmes privés et secrets qu’elles ont mis au point . Les plateformes sont organisées pour attirer le chaland et la publicité.
D’ailleurs, Élon Musk , ne le cache pas, tout en annonçant le changement de nom et de logo de Twitter, l’oiseau bleu est remplacé par la lettres X, il a déclaré souhaiter que Twitter devienne une place publique numérique où tout un chacun, qu’il soit président ou simple utilisateur ordinaire, pourrait annoncer des nouvelles, mais qu’elle soit aussi une plateforme proposant des fonctionnalités de paiement numérique, un lieu où les créateurs de contenu en ligne pourraient se constituer une communauté de followers et gagner leur vie , et bien d’autres chose encore. Twitter a commencé à verser à certains créateurs une partie des revenus générés par les publicités placées dans les réponses à leurs tweets. Elon Musk a affirmé devant son personnel que Twitter pourrait un jour valoir plus de 250 milliards de dollars.
Le jeu est ouvert , car au même moment, le groupe Meta , maison mère de Facebook, vient de lancer Threads ,conçu par Instagram, en tout point semblable et qui fait figure d’alternative crédible avec un demarrage fulgurant de plus 150 millions de téléchargements dans le monde , en à peine trois semaines, aux États Unis, en Inde et au Brésil. Les recettes publicitaires de Meta représentent 98% de ses revenus.
Dans ce jeu, il y a ,aussi, Google qui va fêter ses 25 ans , un moteur de recherche devenu mythique puisqu’il ne laisse que très peu de place aux autres avec un chiffre d’affaires de 278 Mds de dollars en 2022.
Il faut ajouter WhatsApp, plateformes de messagerie instantanée permettant de passer des appels gratuits entre utilisateurs ( 1 milliard dans le monde entier) et Telegram, plateforme de messagerie instantanée, disponible en 8 langues permettant d’envoyer des messages avec images et vidéo cryptés qui s’autodetruisent ( 100 millions d’utilisateurs).
Ces plateformes sont de formidables caisses de résonance pour des agents d’influence pour relayer des campagnes massives aux objectifs qui vont du pur militantisme, à la désinformation, en passant par divers combats idéologiques et autres ingérences économiques ou politiques. Elles servent aussi à des entreprises d’intelligence artificielle qui viennent y puiser des images et des textes pour entraîner leurs algorithmes.
Trente années plus tard , cette logique économique et financière ne ressemble plus à la promesse de l’internet de 1990.
##. Des plateformes sans frontières supports matériels de la traite des humains.
Les plateformes diffuse du rêve mensonger et parmi les victimes beaucoup de migrants qui pensent n’avoir rien à perdre,au péril de leur vie précieuse, dénonce Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Malheureusement, le trafic d’être humain utilise de plus en plus les réseaux sociaux afin d’appâter les victimes potentielles en les attirant vers un cocagne q’ils n’atteindront jamais ou qui se révélera illusoire. C’est à travers les réseaux sociaux que les passeurs vendent leurs services criminels. Ce qui nécessitait des moyens audiovisuels aboutit en deux clics jusqu’au client à qui l’on décrit des pays possibles d’arrivée et une route migratoire sans danger. Les réseaux sociaux facilitent le piège avant de devenir le support des demandes de rançon. C’est l’enfer en Libye.
Les plateformes et les réseaux sociaux dont le marché est le support matériel,sont ainsi utilisés au sens propre pour vendre ce qui se révélera un cauchemar. Rien n’y fait . Le faux mis dans le tuyau est dans ce domaine comme dans les autres le contraire de l’information . Ce domaine comme les autres n’échappe pas au dérèglement qu’entraine les plateformes et les réseaux sociaux, conclut Didier Leschi.
##. Ces plateformes numériques occupent , aujourd’hui, l’espace public et démocratique et le transforment.
Pouvoir parler de tout et à tout le monde, être simultanément producteur et récepteur d’informations, voilà la force des réseaux sociaux. Nombre de plateformes conversationnelles constituent désormais une part substantielle de l’espace public .
Ainsi,les méthodes mises au point par le marketing commercial ont été transposées au marketing politique. L’organisation algorithmique de ces espaces influence la structure des débats publics et facilite leur polarisation, contribuant selon certains à une « brutalisation « du débat public . Par ailleurs, le ciblage publicitaire de ces plateformes interroge également l’exercice démocratique, particulièrement lorsque des campagnes publicitaires ,avec pour objectif la manipulation et la désinformation , tentent d’influencer les scrutins électoraux. Les plateformes étant devenues un espace démocratique, se pose alors la question des règles de son organisation.
Pour Brice Teinturier, directeur général d’Ipsos, avec les plateformes et les réseaux sociaux, le plus important, c’est la transformation profonde de ce qui constituait l’espace de délibération classique d’une démocratie ou les médias traditionnels avaient un rôle qui leur était dévolu pour contribuer à construire cet espace de délibération. On avait des responsables politiques qui soumettaient aux citoyens des offres politiques. Et puis des citoyens qui écoutaient, qui lisaient et qui choisissaient. Cet espace a explosé. Il n’existe plus tout simplement. Et c’est pour cela que les plateformes et les réseaux sociaux sont à l’aube d’une transformation de la démocratie elle même.
Pour Dominique Reynie, cette transformation risque même de donner un bel avenir au complotisme . Il constate que l’évolution des plateformes et des réseaux sociaux affecte dangereusement la régulation de la communication démocratique . A la fin du XIX siècle, il revenait au législateur d’ordonner l’information et la communication de masse en l’intégrant dans un cadre cohérent avec les principes d’un espace public libéral et pluraliste. Le pouvoir a alors su concevoir un édifice normatif fondé sur la liberté d’opinion , la liberté de la presse,la responsabilité des éditeurs et des auteurs, la sanction des fausses nouvelles, des incitations à la violence , de la diffamation.. Au cours du XXI siècle, les puissantes plateformes numériques et leurs algorithmes, privés et secrets , ont pris en charge l’organisation et la régulation de l’espace public , échappant de fait à toute souveraineté politique. C’est une passation de pouvoirs. Prenons garde , dit-il il ?
S’il devait se confirmer, le déclin de l’espace public démocratique, sous l’effet de la numérisation et de son ensauvagement par des foules virtuelles que des algorithmes chauffent à blanc et orientent, alimentera le thème mortifère d’une démocratie de façade. Dominique Reynie invoque le neveu de Freud qui écrivait en 1928 : « la manipulation consciente, intelligente,des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique . Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. » et de conclure que le complotisme a un bel avenir.
Dans un numéro des Cahiers français, en 2003, Thierry Vedel s’interrogeait sur les possibles transformations de la citoyenneté en lien avec le développement des technologies de l’information et de la communication et d’internet et posait notamment la question de savoir si les plateformes peuvent empêcher le débat public ?
##. Cette occupation de l’espace public et démocratique peut-elle empêcher le débat public ?
Jean- François Achille , éditorialiste à France -info, constate que quelque chose a changé dans la vie démocratique de la Vème République qui n’échappe pas à un phénomène planétaire : désormais le débat politique rebondit d’heure en heure en direct sur les réseaux sociaux, les chaînes d’info en continue, elles même relayées en boucle sur Tweeter et les autres réseaux. Le média global fonctionne comme un formidable accélérateur de particules. A tel point qu’une annonce, une idée, une polémique ne dépasse pas la barre de 24 heures. Sitôt annoncées, sitôt oubliées !
Sans cesse il faut nourrir l’ogre médiatique et chaque citoyen peut librement déverser ses humeurs, voire sa haine en ligne. A la faveur de cette mécanique implacable, les oppositions sont incitées à aller toujours plus loin dans la surenchère : les insultes lancées dans l’hémicycle envahissent tout l’espace public et supplantent le débat de fond, à la consternation générale .
Jean- Francois Achille observe que la consommation d’informations sur les réseaux sociaux et les chaînes d’info vient bousculer les grands titres de la presse dite « traditionnelle » comme si celle-ci émanait d’un monde dépassé.
Alors, pose t’il la question, « est-ce la faute des journalistes si le débat tourne en rond et tombe dans le caniveau et empêche le débat public ? »Pour lui, la question reste systématique tant que l’audience ira en masse à la vidéo courte au service de la petite phrase caricaturale , les journalistes aussi bien intentionnés soient-ils, ne pourront pas rehausser le niveau du débat. Il n’y a heureusement pas de fatalité à cette hysterisation généralisée qui empêche le débat public : il reste à chaque citoyen la possibilité d’exercer son libre arbitre et son propre esprit critique. « Après tout, n’avons nous pas les réseaux sociaux et les médias qu’on mérite ? » .
Jean-Francois Quatrepoint nuance ce propos en soulignant que la consultation des réseaux sociaux fait désormais partie du métier de journaliste, pour faire le tri entre l’information officielle et contrôlée et le off anonyme. Il faut faire le tri. Il considère que ce que l’opinion publique attend, ou est en droit d’attendre, des médias, c’est une information équilibrée. Une information où le journaliste ou le blogueur expose les thèses en présence et, à l’occasion , fait part de ses doutes sur telle ou telle explication. Une information remise en perspective en faisant abstraction des émotions du moment, des modes du moment qui pourrait favoriser une démocratie numérique et ouvrir de nouvelles frontières à la démocratie.
##. Cette occupation de l’espace public peut elle favoriser une démocratie numérique et ouvrir de nouvelles frontières pour la démocratie, ou devenir ennemi de la démocratie ?
La méfiance des dictatures à l’encontre des plateformes numériques et des réseaux sociaux témoignent de leur potentiel émancipateur. Nous n‘aurions sans doute pas su les manifestations populaires lors des « Printemps arabe », la violence et la répression en Iran , ou en Afghanistan, les oppositions à Poutine sur la guerre en Ukraine, la gestion de la pandémie de la Covid-19 en Chine, sans la diffusion de messages et d’images qui mobilisent l’opinion internationale. La force de l’instantané et du partage de l’information fit reculer des autocrates en permettant à la société civile de prendre conscience d’elle même et de son pouvoir. Les réseaux sociaux peuvent alors constituer un contre pouvoir, mettant en échec la censure et l’opacité de ces régimes politiques autoritaires. Dans les pays privés de liberté,la démocratie numérique et les réseaux sociaux restent un moyen sans égal de porter la voix des opprimés.
En revanche, dans les démocraties occidentales , des signaux de crise se manifestent un peu partout dans le monde, elles peuvent devenir un espace privilégié pour des campagnes de désinformation et la propagande de fausses informations, comme ce fut le cas lors de la consultation organisée en Grande Bretagne en 2016 sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne et les élections présidentielles aux États Unis. Les réseaux sociaux sont ils dès lors devenus des ennemis de la démocratie ? La démocratie peut elle survivre à internet ? C’est le revers du torrent numérique, il fait aussi bouillir les démocraties rendant fragile le débat démocratique, l’emportant dans un tourbillon d’irrationalité, selon Caroline Fourest. Sans oublier les multiples cyber attaques à répétition touchant les États et leurs organisations en installant des « rancongiciels » .
Favorisent ils la polarisation politique des opinions, en renforçant la fragmentation et la radicalisation de nos démocraties et en rendant plus complexe l’élaboration de compromis si précieux au fonctionnement de la démocratie ? Favorisent ils la diffusion de fausses informations, placées au même niveau que le consensus scientifique et la parole publique ?
Dans nos démocraties, la question se pose, en effet, sur les possibles transformations de la citoyenneté en lien avec le développement de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication, et d’internet. Ces transformations interviennent dans un contexte général de malaise politique repérable à la progression de l’abstention électorale, au déclin de l’adhésion militante et syndicale ou à l’intérêt grandissant des populations pour des idéologies nationalistes,populistes ou extrémistes dans divers pays occidentaux, accompagné d’une plus grande défiance à l’égard du système institutionnel et de la classe politique traditionnellement modérée. Alors même que, l’idée, ancienne et controversée, selon laquelle une nouvelle technique de communication conduirait nécessairement à un surcroît de démocratie se déployait autour d’un possible renouveau de l’engagement civique, d’un enrichissement de l’espace public innervé de multiples flux d’informations, et d’une possible plus grande participation des citoyens aux affaires publiques.
Les réseaux sociaux élargissent à l’évidence l’espace public, favorisent le pluralisme des discours,associent le citoyen à des réflexions publiques, peuvent aider le législateur à mieux comprendre et servir la population. Mais ils sont aussi susceptibles de servir des lobbies, de ne donner la parole qu’aux « agissants »et aux « agiles » de la toile, et d’offrir à la puissance publique la capacité de s’ériger en « État espion » . Forme rapide et trop anonyme de l’expression politique,le réseau social ne saurait aujourd’hui permettre à lui seul l’élaboration de la décision politique. La démocratie repose sur des règles de débat et de prises de décision beaucoup plus élaborées qu’un tweet ou un post, la participation numérique serait elle, alors, une illusion ou une réalité ?
##. La participation numérique illusion ou réalité ?
La démocratie libérale, il y a peu de temps, semblait être le dernier mot de l’histoire ( Francis Fukuyama)
Depuis lors, un ensemble d’événements observables en ligne ont conduit à remettre en cause cette promesse démocratique historiquement attachée à internet et à ses développements techniques ultérieurs. En fait, l’avènement des réseaux socio numériques a notamment conduit à mettre en lumière des phénomènes abondamment dénoncés de harcèlement ou de haine en ligne à propos desquels le législateur a décidé d’intervenir dans plusieurs pays européens et en France, loi dite « loi Avia ». Certains de ses détracteurs ont souligné que cette loi octroie aux GAFAM et aux autres entreprises du web un pouvoir démesuré d’appréciation du caractère ou non »haineux », et donc légal ou non, d’un contenu publié en ligne.
Ces événements interrogent ainsi cette idée de revitalisation de la démocratie grâce aux technologies numériques, tout en soulignant leur dépendance à un ensemble d’acteurs économiques dont les préoccupations,de fait, ne sont pas particulièrement démocratiques. Il en est de même avec les tentatives de contrôle de la part des acteurs politiques dont les instruments apparaissent inadaptés à la réalité des pratiques, ou éveillent la méfiance des citoyens.
Dans le même temps, a pu être louée la capacité de ces mêmes réseaux socionumeriques à générer une mobilisation ou un sentiment d’identification à des causes qu’ils contribuent à publiciser plus largement, telles que par exemple la lutte contre les violences faites aux femmes, les « Printemps arabes », les révoltes en Iran, etc….
Il est pourtant difficile de généraliser les effets des technologies tant internet ne constitue pas en réalité un tout homogène, mais renvoie à une multitude d’activités et de dispositifs . L’Internet est un outil polyvalent qui , en fonction de la manière dont il est utilisé,peut aussi bien conduire à une amélioration qu’a une dégradation du fonctionnement des systèmes politiques car il se heurte ,aussi, à des inégalités d’usage, créant une fracture sociale numérique.
##. De nouvelles options sont explorées pour renouveler le modèle démocratique mais elles se heurtent à la méfiance et à des inégalités d’usage créant une fracture sociale numérique
Depuis une vingtaine d’années, les gouvernements se sont emparés des technologies, d’abord dans le domaine de l’information, par le développement de l’open data pour diffuser ou pour ouvrir des données produites et collectées par les services publics des administrations de l’Etat et des collectivités locales, puis dans la perspective de susciter et d’encadrer les prises de parole des citoyens dans le cadre de consultations plus formelles.
Des initiatives institutionnelles telles qu’en France le Grand Débat national à la suite du mouvement des Gilets jaunes, en 2019 , avec la plateforme « Le vrai débat « mise en place par le Président de la République, illustrent cette apparente nécessité pour les pouvoirs publics de capter la multiplicité d’opinons émises par les contributeurs, en utilisant des algorithmes en vue d’en opérer la hiérarchisation.
Dans les ministères comme dans les collectivités territoriales, férus de consultations et sondages, se développent de nouvelles formes de collaboration entre acteurs publics et entreprises conduisant au développement d.’un marché de la civitech, c’est à dire des technologies visant à mettre celles ci et les informations dont elles favorisent la circulation à la portée de tous les citoyens mais ces processus de démocratie plus participative paraissent à ces derniers, le plus souvent opaques et créent une méfiance à leur égard , une nouvelle technophobie se développe. Cette opacité, ou complexité, peut expliquer pour partie la méfiance des citoyens envers ces « vérités officielles « imposées et l’intérêt qu’ils portent vers des formes d’informations non institutionnelles, militantes ou associatives d’engagement citoyen, des « vérités alternatives » rencontrant cette prédisposition à croire ce que l’on veut croire : « Quand on voit ce qu’on voit et qu’on sait ce qu’on sait, on se dit qu’on a bien raison de penser ce qu’on pense » anticipait le philosophe Pierre Dac.
Par ailleurs, la Covid -19 et la crise sanitaire ont mis en évidence l’inégal équipement de la population en matière d’ordinateur et de connexion à internet. A cette question de l’accès à internet se sont ajoutées d’autres types d’inégalités , davantage liées aux différences d’usage d’internet en matière d’informations politiques selon la catégorie sociale d’appartenance : par exemple, les personnes les plus éloignées de l’univers politique ne semblent pas véritablement tirer profit des ressources informationnelles offertes en ligne pour se les approprier davantage, alors que celles déjà intéressées par la politique en bénéficient plus largement, accroissant ainsi l’écart entre une population démobilisée et une population très informée et souvent politiquement active. L’inégalité d’accès ou d’interêt portée à internet crée une fracture sociale numérique qui ne favorise pas l’accès de tous à l’information politique, et peut générer des frustrations vecteurs de discours et des contenus de haine ou de harcèlement versus outil de mobilisation citoyen qui contribuent à creuser des différences et à fragmenter les opinions.
##. Personnalisation des contenus et communautés de pensée creusent des différences et fragmentent les opinions.
Sans doute la dimension la plus visible des changements apportés par internet, est celle de l’accès plus étendu à des volumes d’informations d’une plus grande diversité que celles accessibles par les seuls médias de masse. De fait, les sources traditionnelles d’information, qu’il s’agisse des productions des médias ou des gouvernements, sont désormais concurrencées par l’expression de milliers d’amateurs que constituent les réseaux socionumeriques, où la visibilité d’une information n’est plus connectée à son degré de proximité avec l’intérêt général, comme a priori dans les médias de masse, mais est le fruit d’un travail algorithmique orchestré par des acteurs privés qui observent en permanence nos préférences et détestation politiques pour les satisfaire .
Les plateformes numériques agissent sur un ressort humain, rapprocher des personnes qui ont des affinités entre elles. C’est un biais cognitif et social facile à accepter. Il est toujours plus facile de lire des points de vue que l’on partage que des développements avec lesquels on est en désaccord. Le but est la consommation de contenu qui plaît.
Elles agissent sur un second ressort, algorithmique opéré par les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux qui contribuent à redéfinir les modèles d’accès, de circulation et de diffusion de l’information en se fondant notamment sur les traces, plus ou moins volontaires, que nous laissons nous mêmes au fil de notre navigation pour nous proposer le plus possible de contenu qui nous plaira . Le contenu du web qui nous est proposé est ainsi trié,filtré et hiérarchisé de façon à être le plus en adéquation avec notre consommation antérieure d’informations ou avec nos « like » et « partage » que nous avons émis à propos de ou tel contenu. Une telle personnalisation des résultats des moteurs de recherche ou du fil d’actualité sur un réseau social suscite de vifs débats, compte tenu du risque d’enfermement de l’internaute dans sa propre culture, en l’empêchant d’être confronté à des avis contradictoires aux siens. Ce danger, ça s’appelle la fragmentation, selon Jean-Louis Bourlanges. C’est à dire que chaque famille sociale, politique, sexuelle, religieuse, quels que soient les critères régionaux, vit dans sa galerie, avance avec sa galerie, chemine tout seul sans regarder les autres.
D’autre part, la mécanique des algorytmes privilégiant les contenus déjà populaires, et alors même que le nombre de points de vue est en théorie illimité en ligne, les citoyens reçoivent des informations issues seulement de quelques sources par ailleurs établies dans le paysage médiatique traditionnel, chaînes de télévision et quotidiens nationaux, et l’environnement numérique des grands portails comme Google. Ainsi, le pluralisme des sources sur le web est contrarié par le manque de pluralisme des moteurs de recherche qui détiennent une position dominante.
Cette personnalisation est à l’oeuvre aussi en matière de consommation de produits et de services , notamment culturels qui devient une économie de la recommandation. Elle conduit à poser la question de la gouvernementalité algorithmique et des perspectives d’émancipation, aux termes de laquelle les enjeux , y compris politiques, se trouvent quantifiés et où les comportements individuels ne sont plus gouvernés par le politique,les normes sociales ou le droit, mais par l’exploitation de données, l’apprentissage automatique et le profilage . Pour Jean-Louis Bourlanges, les femmes et les hommes politiques doivent dire non à ces processus des algorytmes . Il faut absolument trouver le dénominateur commun et espérer qu’il ne soit pas le plus petit possible émetteur commun. Les responsables politiques doivent approfondir les convergences.
Natacha Polony est frappée par le fait que, le principe même des algorithmes, nous conduit à titre collectif, à valider de plus en plus une société dans laquelle chacun évite de se confronter à la contradiction et aux opinions qu’il ne partage pas . C’est toute la différence entre les médias internet, les réseaux sociaux, l’ensemble du fonctionnement des plateformes et ce qu’étaient les journaux, les médias traditionnels qui, certes, avaient leur public et visaient une certaine tranche d’opinion mais nous confrontaient systématiquement à une part de contenu que nous n’avions pas choisie. C’est ce qui permet aux citoyens de forger leur opinion et de s’habituer à la confrontation. Cela relève du débat démocratique. Or nous sommes en train de concevoir une société qui évite systématiquement ce débat et tend à tuer toute forme de curiosité intellectuelle. Nous sommes invités à nous concentrer sur nos centres d’interêt, moins nous cherchons à étendre le champ de nos connaissances. C’est la négation absolue de l’universalisme . Celui ci s’estompant , les individus s’enferment dans des attitudes et visions communautaristes et identitaristes, alors qu’ils sont de plus en plus interdépendants économiquement, financièrement, et reliés numériquement.
Pourtant, Alexandre Alaphilippe, cofondateur et directeur de l’ONG EU DisinfoLab, considère que les réseaux sociaux ne font que reproduire le fonctionnement humain classique des groupes d’amis, des amicales et autres associations dans un espace virtuel qui a des impacts réels. Le virtuel est désormais un monde réel car les gens que l’on côtoie dans le virtuel sont ceux que l’on côtoie dans le monde réel. La frontière entre virtuel et réel s’atténue et ne sont qu’une prolongation de mécanismes d’échanges ancestraux où la rumeur, le on dit, les fausses informations avaient, déjà , leur place dans le débat public.
##. Les « fausses nouvelles » propagées par les plateformes menacent elles le débat public ? Est ce un phénomène nouveau ? Quelle définition peut on accepter ?
Pour Jean Michel Quatrepoint, historien de la désinformation, la désinformation existe depuis des lustres. Depuis que l’homme communique. Hier, c’était le bouche à oreille, le on-dit, la rumeur. La rumeur est le plus vieux média du monde. Jusqu’à Gutemberg, la diffusion de l’information et des rumeurs restait limitée dans l’espace et mettait beaucoup de temps à se transmettre. L’une des plus belles opérations de manipulation de l’information par un État étranger, en l’occurrence l’Allemagne, reste l’affaire de la dépêche d’Ems dont l’auteur n’était autre que le chancelier Bismarck . Les français s’indignent et l’Assemblee nationale vote les crédits pour la mobilisation. Deux mois après, l’Empire s’effondre à Sedan. Bismarck a gagné.
Fausse information, manipulation, désinformation, le XX° siècle en verra de tous bords. Les journaux ne sont pas les derniers à les propager pour vendre du papier, comme aujourd’hui les plateformes et les réseaux sociaux attirent la publicité et le chaland avec des informations biaisées. Il en fut ainsi avec la fausse information de la traversée de l’Atlantique par Nungesser et Coli, les faux charniers de Timisoara,
Ainsi, la fabrique de fausses informations n’est pas un phénomène nouveau et n’est pas liée à l’apparition des plateformes et des réseaux sociaux, mais avec le XXI° siècle, la désinformation sur internet a pris une telle ampleur ces dernières années qu’elle est devenue un véritable problème de société. Nous sommes devant un phénomène extraordinaire : la démocratisation des « fausses nouvelles » . Chacun peut produire des « fausses nouvelles » avec un simple ordinateur. Chaque citoyen à la capacité de participer à un processus de diffusion autrefois lourd et coûteux ce qui constitue la nouveauté. La technologie a changé les choses en permettant à chacun d’émettre de « fausses nouvelles », et de les propager à travers ses réseaux sociaux, et grâce à celle ci chacun peut donner une fausse source à la nouvelle.
Diverses stratégies ont été utilisées aux États-Unis : informations erronées sur les dates d’élections, les lieux de vote ou les modes scrutin, des rumeurs de trucage sur le vote électronique, la création de fausses communautés en ligne sur des sujets clivants, le gonflement de comptes et de pages hyper-partisans avec l’achat de faux comptes pour diffuser plus facilement de la désinformation.
Que désigne t on exactement par le terme apparu en2016 de « fake News » ?
Ce terme anglais,ou plutôt américain , nous en avons fait en France une mauvaise traduction avec le terme « fausse information ». « Fake » dans la bouche de Donald Trump, le premier à populariser et à planetariser cette expression, ne veut pas dire « faux » mais « bidon » . Trump dénonçait, les informations « bidon », selon lui, que la grande presse américaine diffusait sur lui et contre lui. Cela suppose une intention, une action, de nuire, de raconter un événement dont on sait qu’il n’a pas eu lieu.
Ces « fake news « correspondent à des contenus éditoriaux qui imitent des articles journalistiques dans le but de tromper le lecteur mais qui doivent être distingués de l’information erronée ou de la déclaration trompeuse qui n’a pas l’intention de nuire. Qui a t il de réellement nouveau derrière ce phénomène des « fake News »? Jean Michel Quatrepoint serait tenté de n’y voir qu’un phénomène inhérent à la nature humaine. Karl Popper, un philosophe, disait que « l’homme est un singe menteur ». Simplement avec internet, les réseaux sociaux, l’information planétaire et instantanée, on a changé une fois de plus de dimension. La rumeur, la fausse nouvelle ne se développent plus à la vitesse de l’homme à cheval, du bateau vapeur ou du chemin de fer, ni même à la vitesse de l’avion, elles se déplacent à la vitesse de l’électron ,sans frontières, dans le monde entier. C’est le « café du commerce planetarise » . Instantané. Le problème est qu’on va très vite sortir de cette définition de la « fake News », ou « fausses nouvelles », pour la confondre avec les manifestations d’opinion, avec le processus général de la désinformation, avec l’interprétation, avec la sélection idéologique de l’information, avec les fausses prévisions, les fausses promesses ou les fausses estimations. Les fausses nouvelles ne sont pas non plus des mensonges d’Etat.
##. L’usage des « fake news » ou « fausses nouvelles » à des fins politiques influence t’elles le comportement des électeurs ? Portent-elles atteinte à l’intégrité des élections ?
Les fake News sont-elles efficaces ? Orientent-elles les votes ? Des controverses qui en sont des exemples éloquents,au point d’être érigées en véritables menaces pour le débat démocratique. Pour Francois -Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS , responsable de l’observatoire géostratégique de l’information, la réponse est non.
Aux États-Unis , comme en Europe, des individus ou des réseaux structurés ont recours à la production de rumeurs pour disqualifier leurs adversaires politiques et sensibiliser les internautes à leurs thématiques de prédilection. C’est un vaste champ d’influence au sein duquel les services de relations publiques en charge des campagnes politiques sont en concurrence directe avec les rédactions de journalistes, en pratiquant le storytelling politique. Cette pratique a pris de l’ampleur lors des campagnes électorales américaines de 2016 et française de 2017.
Pour les élections américaines de 2016, les revenus de la publicité politique ont atteint le chiffre record de 9,8 milliards de dollars, dont la moitié est allée vers la télévision,l’autre moitié aux réseaux sociaux. Facebook était la première destination,notamment du fait de sa capacité à placer des publicités dans son application mobile. Lors de sa comparution au Sénat en 2018, Mark Zuckerberg , le PDG de Facebook,a révélé que 170000 dollars ont été dépensés en publicité sur sa plateforme entre juin 2015 et mai 2017 par des sources de désinformation liées à la Russie .
Une analyse quantitative réalisée pendant la présidentielle française de 2017 et portant sur huit millions de liens partagés sur Twitter et Facebook a conclu qu’un quart de ces liens étaient des tentatives de désinformation.
Mais ces fausses informations produites en période électorale à des fins de propagande influencent elles les électeurs ? Portent elles atteinte à l’intégrité des élections ? De nombreuses études et analyses réalisées en 2024 aux États-Unis ont démontré que les électeurs exposés ne retenaient pas davantage que les autres les noms des candidats, ni ne modifiaient leurs intentions de vote. De manière générale, les études ont tendance à montrer que celles ci ont un effet limité, en touchant d’abord des électeurs politisés et convaincus, venant ainsi les conforter dans leurs opinions. Elles ont plutôt un effet de renforcement sur ceux qui déjà étaient en rupture avec la grande presse classique qui soutenait la candidature de Hilary Clinton. C’est ce qu’on appelle un effet de confirmation.
La part de ces fausses nouvelles, par rapport au temps de lectures ou d’écoute de
« vraies News » est très faible. Par ailleurs, d’énormes moyens sont consacrés au repérages des fausses nouvelles et elles sont vites repérées. Il existe , selon François-Bernard Huyghe, environ 150 organismes de fact-checking pour la vérification des faits à travers le monde. Les GAFA retirent des milliers de comptes et suppriment des milliers d’informations fausses ou douteuses pour ne pas apparaître comme l’ecosysteme des discours de haine, des idées extrémistes et des fake news. Donc d’énormes forces s’emploient à signaler ces fausses nouvelles et à les supprimer.
Toutefois, une étude réalisée en 2018 et publiée par The Conversation montre que les responsables politiques dans quatre pays , Belgique, Canada, Allemagne et Suisse, estiment les électeurs plus à droite qu’ils ne le sont en réalité, influencés qu’ils sont par la lecture des réseaux sociaux. Ils voient à la lecture des réseaux sociaux une dérive vers la droite . Les responsables politiques participants sont membres d’organes législatifs nationaux et infra nationaux ( landers, régions, cantons) et issus de partis situés sur l’ensemble de l’échiquier politique . Ils ont été invités à évaluer la position de l’opinion publique générale et celle des électeurs de leur parti sur des questions portant sur : l’âge de la retraite, la redistribution, les droits des travailleurs, l’euthanasie , l’adoption d’enfants par des couples de même sexe et l’immigration. Leurs réponses ont été comparées à l’opinion publique réelle mesurée par des enquêtes représentative à grande échelle. Dans les quatre pays, et sur une majorité de sujets, les élus et élues surestiment systématiquement la part des citoyens qui ont des opinions de droite. Parmi les explications de ce biais conservateur, les réseaux sociaux utilisés par les responsables politiques ont tendance à être dominés par des opinions conservatrices de droite . Ce biais pourrait expliquer la perception qu’ont les élus d’une opinion publique plus à droite qu’elle n’est en réalité, alors que le barycentre de la société serait beaucoup moins conservateur . Les auteurs estiment que la présence de ce biais de manière persistante dans une variété de systèmes démocratiques différents à des implications majeures pour le bon fonctionnement de la démocratie représentative. Celle-ci repose sur l’idée que les élus sont à l’écoute des citoyens, ce qui signifie qu’ils s’efforcent généralement de promouvoir des initiatives politiques conformes aux préférences de la population. Or, si l’idée que se font les responsables politiques de ce que pense le public est systématiquement biaisé par les réseaux sociaux en faveur d’un camp idéologique, la chaîne de représentation politique s’en trouve affaiblie . Les responsables politiques peuvent poursuivre à tort des politiques de droite qui n’ont en fait pas le soutien de la population, et s’abstenir d’oeuvrer à la réalisation d’objectifs progressistes, perçu à tort comme minoritaires. Ainsi, si les citoyens sont moins conservateurs et de droite que ce que les élus perçoivent, l’offre politique risque d’être constamment sous optimale et peut avoir des implications plus larges, telle que la désaffection du système croissante à l’égard de la démocratie et des institutions démocratiques. L’étude réalisée en Suisse a montré qu’une utilisation soutenue de la démocratie directe, référendums, votations, pourrait aider les responsables politiques à mieux comprendre l’opinion publique que la consultation des opinions publiques sur les réseaux sociaux des plateformes.
##. L’industrialisation de la production des fake news crée un nouveau marché de l’information générateur de croissance économique pour les plateformes.
Une caractéristique des fake news à trait à « l’industrialisation » de leur mode de production, qui s’appui sur le modèle des réseaux sociaux. Dans certains cas, la diffusion à grande échelle de ces fausses nouvelles aura même pour but unique de générer des revenus publicitaires.
Facebook, par exemple tire l’essentiel de ses revenus, plus de 40 milliards de dollars en 2017 de la vente d’espaces publicitaires sur les fils d’actualité de ses deux milliards d’usagers. Dans ce contexte Facebook peut servir de courroie de transmission à des producteurs de fausses informations pour toucher un large public. Facebook peut mettre en ligne des sites de fausses informations sur lesquels est hébergé de la publicité, puis diffuser sur Facebook des liens avec les articles en question afin de faire venir en masse des internautes sur leurs propres sites, et donc à générer des revenus publicitaires. Les fake news constituent ainsi des produits informationnels compétitifs sur le marché de l’information que représentent les réseaux sociaux.
Parce qu’elles génèrent de « l’engagement » avec des clics, des partages, et des commentaires, elles contribuent à la croissance économique des plateformes d’ou la suspicion à leur encontre d’entretenir la propagation des fausses nouvelles .
Il apparaît clairement que l’augmentation des fausses nouvelles en ligne est directement lié au modèle économique des plateformes de réseaux sociaux ainsi qu’aux algorithmes qui régissent les plateformes, dans la mesure où plus un contenu fait réagir les internautes, plus il remonte dans la hiérarchie des contenus .
Les plateformes ont été créées pour permettre à leurs usagers d’interagir et de partager des contenus personnels . Mais au fur et à mesure que le nombre d’usagers a grandi et que ceux ci ont utilisé ces réseaux pour partager des informations d’actualité, elles sont devenues des acteurs incontournables pour les médias en ligne, dans la mesure où elles fournissent une part importante de leur lectorat. Les réseaux sociaux jouent ainsi un rôle primordial dans les pratiques de consommation d’information, notamment pour les plus jeunes . Les réseaux sociaux sont devenus la principale source d’information des 18-24 ans, dans de nombreux pays . Cette évolution est importante dans la mesure où, sur ces plateformes, les fausses nouvelles deviennent des concurrentes des contenus produits par les médias traditionnels. Comme le dit Umberto Éco, ce nivellement égalitaire de la parole a en réalité mis sur un même plan la parole d’un Prix Nobel et celle d’un ignorant.
##. Alors,pourquoi diable ne sortons nous pas de tout cela?
C’est une proposition de Jeremie Peltier, directeur général de la Fondation Jean Jaurès, II observe que pas une semaine ne passe sans qu’un fait d’actualité nouveau incrimine les réseaux sociaux : complotisme, cyber harcèlement, haine, insultes en ligne qui se terminent parfois en rixes violentes.
Que le temps passé sur les réseaux sociaux agissent sur notre humeur, nous rendent de plus en plus sédentaires et de plus en plus myopes, voire totalement aveugles au mode qui nous entoure.
Il s’interroge donc pour savoir si depuis l’arrivée des réseaux sociaux, les citoyens ont davantage confiance en leur démocratie et en leurs institutions ? Votent davantage ? Si les responsables politiques sont perçus comme plus proches des citoyens que jadis ? Le débat public a gagné en qualité ? Pour lui, la réponse et qu’ils n’ont fait que renforcer le désintérêt des citoyens pour la chose publique, n’auront fait qu’alimenter le débat public en polémiques stériles, et n’auront rien apporté de très utile aux responsables politiques au point de se demander si les réseaux sociaux sont des amis ou des ennemis des responsables politiques et dans ces conditions pourquoi dépenser beaucoup d’énergie à faire des tweets, des stores, des posts et des vidéos Tik-Tok pour « toucher les gens ».
Aussi, il propose de faire un jeu : que tous les candidats à la prochaine élection présidentielle refusent d’avoir le moindre réseau social et refusent de les consulter, pour voir si le débat public gagnerait en sincérité et leur campagne en qualité . Au vu de la situation actuelle, estime t’il, il n’y a rien perdre à tenter de refaire de la politique en réel sans le moindre virtuel. Pourquoi cesser de croire que le peuple a le droit, lui aussi, de s’elever au-dessus du caniveau ?
##. Ou alors , faut il faire avec ? Car nous n’avons pas le choix?
C’est le sentiment de Rachel Khan, juriste, essayiste, lauréate du Prix du livre politique 2021 pour Racée. Tous les points de vue s’y expriment, dit-elle . Or, si certains faits sont positifs pour les savoirs et l’expression démocratique, la saturation et la dérégulation de l’information nous noient dans un flot de données qui mettent à l’épreuve notre vigilance cognitive autant qu’elles nous « incivilisent » à l’égard d’autrui .
Théorie du complot, fake News, désinformation, mais aussi haine en ligne sous pseudonyme et autres harcèlements dessinent les prémisses d’une société tyrannique faite de réalités parallèles d’une violence inouïe.
La configuration des réseaux sociaux, les algorithmes, l’intensification des contenus empêchent le développement de l’analyse, de l’esprit critique, et à coup de hashtag nous divisent.
Mais un retour en arrière pourrait être perçu comme une forme de censure de nos existences virtuelles. Aussi, il faut faire avec . Nous n’avons pas le choix considère t’elle.
Questionner leur bienveillance ou leur malveillance face à la démocratie, permet de rester lucide et de garder en ligne de mire les solutions politiques, juridiques mais aussi éducatives, à apporter face au piège qu’est le numérique pour l’etat de droit et nos droits fondamentaux. Pour Rachel Khan, avoir conscience de ces enjeux et des défis à relever est une nécessité première pour penser la société.
C’est aussi le sentiment de Caroline Fourest qui prolonge cette analyse, en rappelant la mise en garde d’Arthur Miller: « Si l’homme ne façonne pas ses outils , les outils le façonneront » . Y a t’il outil plus important à façonner qu’internet et ses agoras publiques, les réseaux sociaux ? Ils façonnent déjà nos vies, nos perceptions, nos sources d’information, construisent nos tribus et donc notre identité, nous placent sous le jugement des autres, nombreux et bruyants. Ce n’est qu’un outil entre nos mains . L’humain peut en tirer le pire comme le meilleur. D’ou l’enjeu de façonner l’outil internet au service de la démocratie, en ne l’abandonnant pas aux seuls manipulateurs et de ne jamais laisser croire que le mensonge y vaut la vérité avant d’être façonné par lui, et par eux . Internet peut délivrer des messages de liberté , de libération, mais il a un revers, il peut faire bouillir les démocraties par des messages d’intimidation, de désinformation, et de complotisme rendant fragile le débat démocratique. D’ou l’enjeu de contrer les règles arbitraires des plateformes et de façonner des outils au service de la démocratie, avant d’être façonnés par eux .
C’est aussi une vision optimiste, d’attente qu’exprime sur les réseaux sociaux, Philippe Mechet, conseiller de la présidence d’EDF. Pour lui, ils ne sont ni les alliés, ni les ennemis de la démocratie. Il faut faire avec, il n’est pas sûr que l’on soit dans une maturité d’utilisation des réseaux sociaux et c’est ça qui va être intéressant à suivre et observer. Quelles sont les pistes qu’on peut explorer pour que ces réseaux sociaux deviennent des outils de pensée, des outils de diffusion d’idées ? Ce n’est pas seulement un moyen de communication, il faut voir comment les réseaux sociaux peuvent devenir un moyen de connaissance. Ils pourraient donc servir positivement, à nous permettre de prendre du recul sur l’information .
Comme le dit un proverbe Tibétain « un ennemi dangereux deviendra un allié si l’on sait s’y prendre. Une grande quantité de poison blesse le corps ; si l’on sait l’employer, il devient médecine ».
##. Ou encore, ne faudrait il pas commencer par comprendre les mécanismes de propagation de l’information pour les contrôler ?
La difficulté rencontrée aujourd’hui tient au fait que nous sommes incapables de comprendre les mécanismes de propagation, alors que cette question est cruciale pour Alexandre Alaphilippe. Quels sont les mécanismes qui font qu’une information se propage ? Par quels types d’acteurs est elle propagée et pour quels intérêts ? La réponse à ces questions permettrait de comprendre par quels mécanismes et dans quels contextes une information est propagée . Savoir rapidement comment l’information se propage parmi ces circuits de manière très rapide, c’est disposer d’un élément d’explication. Cela permet de savoir quelle communauté, quel type de personnes a mis quinze secondes à propager cette fausse information. Quand, entre le moment où une information apparaît pour la première fois et les premiers commentaires il se passe quinze secondes, il est difficile de croire au hasard pur et dur.
Pour lui, il faut travailler sur la compréhension des contextes de propagation. Il faut exiger des plateformes qu’elles fournissent certaines données pour savoir qu’un lien est partagé, par quel type de page il circule, par quel type de groupes il est partagé et quel est son impact. Aujourd’hui, ces informations ne sont pas données et donc pas connues.
Il faut comprendre qu’elles sont les agences qui achètent de la publicité en ligne pour soutenir des messages . Il est intéressant de savoir d’ou vient l’argent . Aujourd’hui, les plateformes refusent de donner ces informations. Il faut donc absolument forcer les plateformes à mettre ces données à disposition et qui donc peut le faire sinon la puissance publique, sous peine d’amendes.
Il faut travailler avec la société civile parmi laquelle beaucoup de compétences sont entrain de s’organiser pour faire ce travail de transparence et qu’il faut soutenir pour favoriser la discussion ou la coopération avec les plateformes pour les obliger à fournir des données analysables, compréhensibles et qui ont une valeur.
##. Au delà de la compréhension, qu’elle régulation convient il d’appliquer sur les géants du numérique afin de garantir la liberté d’expression et la protection des données personnelles ? Quelles solutions ?
Pour la présidente de l’Assemblée nationale, Mme Yael Braun-Pivet, la solution résiderait dans la discussion ouverte ,en vue d’une législation équilibrée. « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une c’est attenter à l’autre » déclarait le député Victor Hugo à ses collègues le 11 septembre 1848. Pour l’écrivain comme pour le représentant du peuple , la liberté d’imprimer était indissociable de la démocratie,rappelle la Présidente. En va-t-il il de même avec les réseaux sociaux, interroge t-elle ?
Garantir la liberté d’expression tout en défendant chacun contre la diffamation, l’injure, les provocations à la haine et à la violence, éduquer des écoles à l’usage raisonné des nouvelles technologies, telles sont les équations que doivent résoudre les démocraties du XXI siècle. Il s’agit en fait d’acclimater au monde moderne la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, dont l’article 11 dit que «la libre communication des pensées et des opinions est un droit les plus précieux de l’Homme: tout citoyen peut donc parlé , écrire , imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi . »
François-Bernard Huyghe pense que la recherche de la solution risque malheureusement de retomber sur des vœux pieux. L’Etat ne lui paraît pas une solution convaincante : si l’Etat nous garantit la vérité, cela peut produire un effet boomerang, rien de mieux qu’une loi de contrainte ! Demander aux GAFA de retirer les informations fausses, ce qu’ils font déjà, c’est reconnaître de fait le pouvoir de la technologie. C’est aussi confier à des gens non élus de décider du contenu qui doivent nous atteindre. Il est inquiétant de voir la défense de l’interêt général laissé aux mains des plateformes qui suivent leur propre logique, c’est privatiser cette défense de l’interêt général. Pour lui, la solution serait l’Education, la formation, la résilience des cerveaux. Si on veut que le citoyen puisse exercer sa raison démocratique et savoir ce qui se passe dans le monde réel, il faut lui donner ces instruments.
Etienne Gernelle, directeur de la rédaction du Point, évoque une rencontre d’une dizaine de journalistes avec Mark Zuckerberg, il y a quelques années avec celui qu’il dit être un « Chef d’Etat en tee-shirt » . Toutes les questions tournent autour de la manière de réguler les flots d’horreurs qui circulent sur les réseaux, en l’espèce Facebook. Pour Etienne Gernelle les réseaux sociaux ne sont pas au dessus des lois, et il faut donc que celles ci s’appliquent. A ce titre , il estime qu’une victoire a été remportée en 2021 avec la condamnation de onze cyber-harceleurs de la jeune Mila, persécutée après ses propos sur l’islam, pas sur les musulmans. Voilà la vrai régulation : la justice, dit il. Cela se passe a posteriori, avec des droits de La défense, et de vraies peines prononcées lorsque les mis en cause sont déclarés coupables .
La « régulation « administrative est une autre chose . Car qui est habilité à faire ce « travail » ? Voilà la grande question posée depuis l’antiquité par le poète Juvenal : « qui gardera les gardiens ? ». Comment faire confiance à ces embryons de commission de censure étatique que sont l’ARCOM? Sa réponse : on ne peut pas . A moins d’accepter une spectaculaire régression historique, notamment la loi de 1881 sur la liberté de la presse , qui exclu le contrôle a priori, et n’autorise la sanction qu’à posteriori, et dans le cadre de la justice .
Mark Zuckerberg, s’était déclaré ouvert à une forme de coopération avec les autorités de contrôle nationales. Pour Etienne Gernelle, c’est un cauchemar orwellien : l’alliance de la puissance de la Silicon Walley et de l’hubris régulatrice des États. On ne peut pas mettre entre les mains de l’Etat les cauchemars des réseaux sociaux.
Avant de parler de la régulation, pensons à ceci : la justice est là pour cela. Et la sévérité n’est pas optionnelle. Il est prudent de ne pas donner les clefs de la liberté d’expression à des « machins » dont l’indépendance et la sagesse ne sont nullement garanties. Imaginons qu’un candidat peu soucieux des libertés publiques venait à remporter l’élection présidentielle, que ferait il de l’ARCOM ? Et si l’ARCOM avait la main sur les réseaux sociaux ? Ce modèle existe déjà : il s’agit de la Chine , conclut-il.
##. Dès lors se pose la question de la législation à appliquer pour le respect des règles d’usage dans un pays .
Une entreprise dont l’activité porté atteinte aux droits fondamentaux des personnes doit elle être condamnée ? Ses responsables doivent ils en répondre devant la justice ? Deux questions que pose François Xavier Lefranc, directeur des rédactions du groupe Ouest-France, et pour lui, la réponse est non. Ou plutôt, la réponse est non quand il s’agit des réseaux sociaux. Nos sociétés, émerveillées devant les performances hallucinantes des techno numériques, ont accepté que se constitue une gigantesque zone de non-droit. N’était ce pas un formidable défi démocratique que de permettre à chacune et à chacun de s’exprimer et d’être entendu du plus grand nombre ? Pourquoi donc y mettre des règles ?
Il observe que les parlementaires du XIX siècle qui adoptèrent la loi du 21 juillet 1881 ont estimé que tout diffuseur devait répondre devant la loi de ce qu’il diffusait . Et pourtant, cette grande loi a permis l’essor des médias, leur protection et la protection des citoyens face aux éventuels débordements.
Or, pour permettre l’essor des réseaux sociaux, on a inventé la notion « d’hébergeur passif » . Les plateformes ne sont pas responsables des contenus qu’elles diffusent. Des menaces de mort ? Des campagnes de haine? Des insultes ? Le diffuseur peut dormir sur ses deux oreilles, souligne t’il. Les auteurs sont anonymes ? Vive la liberté !
Nos sociétés l’ont accepté, pour une raison simple : l’argent. Les réseaux et les plateformes qui les portent sont de formidables machines à fric .
Plus il y a de bruit, de fureur, d’audience, plus l’argent rentre .
Jean-Michel Quatrepoint, historien de la désinformation, rappelle que les réseaux et les blogs, y compris les plus délirants ne datent pas d’aujourd’hui. Internet, on le sait, c’est le meilleur ou le pire, comme toute nouvelle technologie. Alors pourquoi cet affolement, cette volonté de légiférer, de traquer les fake News, qui mettraient en péril nos démocraties. Pour lui, cette volonté d’encadrer les réseaux sociaux est apparue très exactement avec deux événements,imprévus par les médias et les responsables politiques : le Brexit et l’élection de Donald Trump et dont les responsables de ces votes inattendus seraient les réseaux sociaux orientés par des manipulations,des désinformations, des fake News venant des Russes. Or, pour Jean-Michel Quatrepoint, si les anglais ont voté le Brexit, c’est pour des raisons sociologiques, déclassement de la province par rapport à Londres, et un raz le bol de l’immigration des pays de l’Europe de l’Est. Si Donald Trump a été élu, c’est parce que la candidate démocrate a été mauvaise, mal aimée et à bénéficié d’intrigues au sein du parti démocrate dévoilées par de vraies informations. Ainsi, la fabrique de l’opinion des anglais et des américains ne relèverait ni des fake News, ni des Russes . Il invite donc à se méfier des lois de circonstances qui s’appuient sur des impressions, des sentiments, des on-dit. Nous croulons déjà sous les législations,les lois, décrets,circulaires.Avant d’en ajouter,utilisons déjà ce qui existe et qui finalement ne fonctionne pas si mal.
Le Parlement européen et la commission européenne se sont saisi du problème par deux lois apportant un socle juridique de régulation, mais le principe de « l’hebergeur passif » n’a pas été remis en question. Pourtant techniquement la régulation des contenus est possible.
Pour François-Xavier Lefranc ,ce n’est pas l’extraordinaire puissance des ordinateurs qui menace la démocratie. Encore moins la possibilité donnée à chacune et à chacun de s’exprimer qui est un réel progrès démocratique, ce qu’il faut craindre c’est l’inertie des responsables politiques. Ce qui peut fragiliser les démocraties, c’est leur éventuelle faiblesse, face aux plateformes, conclut-il. Mais la fatalité n’est pas de mise. L’arsenal juridique s’adapte lentement et difficilement face aux pouvoirs acquis par les géants du Net américains.
##. l’Europe ou la France doivent-elles légiférer ? Quelles armes utiliser pour éviter, limiter et punir ces formes nouvelles d’agression ?
Les réseaux sociaux ne connaissent pas de frontières. Sur le plan mondial, l’Union Européenne, les États-Unis avec 58 pays ont adopté en 2022 une « déclaration pour l’avenir de l’Internet » pour « faire de l’internet un lieu sûr et un espace digne de confiance pour tous et de veiller à ce que l’internet serve notre liberté individuelle ».
l’Europe ou la France doivent-elles mettre en place les conditions d’une législation efficace?
Aux États-Unis, le marketing politique est protégé de toute intrusion de l’Etat, suivant la logique juridique dominante et comme le commande le 1 er amendement de la Constitution américaine qui garantit la liberté d’expression et de la presse. En conséquence, le 1er amendement protège le discours commercial qu’est la publicité et en particulier la publicité politique, même si elle est négative, à charge, mensongère et par extension fausse, ou fake, bidon. En outre les plateformes sont exemptées de l’obligation faite aux médias de masse de révéler l’identité des annonceurs et financeurs de publicité politique en ligne . Depuis 1971, toute aide financière étrangère est interdite dans le cadre des élections fédérales.
Face au développement des réseaux sociaux, l’Union Européenne a adopté, en 2022, un nouveau cadre juridique .
Le Parlement européen a définitivement adopté deux nouveaux règlements avec :
*le Digital Markets Act ( DMA) qui doit entrer en application en 2023 impliquant de nouvelles règles pour prévenir les abus de position dominante des géants du Net;
*Le Digital Service Act ( DSA) entrant en application en 2024, dès 2023 pour les très grandes plateformes en ligne, ce règlement européen visant à lutter contre les dérives en ligne, haine, désinformation, contrefaçons,..) .
Le DSA vise une responsabilisation des plateformes et un encadrement des activités de celles-ci, en particulier celles des GAFAM. Il repose sur le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Pour mieux protéger les internautes européens et leurs droits fondamentaux : liberté d’expression, protection des consommateurs,..aider les petites entreprises européennes à se développer, renforcer le contrôle démocratique et la surveillance des très grandes plateformes, atténuer les risques systémiques, tels que la manipulation de l’information et la désinformation.
Le DSA doit s’appliquer à tous les intermédiaires en ligne qui offrent leurs services ( biens, contenus ou services) sur le marché européen. Peu importe qu’ils soient établis en Europe ou ailleurs dans le monde. Sont concernés notamment, les fournisseurs d’accès à internet, les services d’informatique en nuage (cloud ), les plateformes en ligne comme les places de marché, les boutiques d’application, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de contenus, les plateformes de voyage et d’hébergement, les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche, utilisés par plus de 45 millions d’européens par mois, en particulier les GAFAM.
Tous ces intermédiaires devront respecter de nouvelles obligations,proportionnées à la nature de leurs services, à leur taille, à leur poids et aux risques et dommages sociaux qu’ils peuvent causer .
La France a voté la loi dite « loi Avia » du 24 juin 2023 qui vise à lutter contre la manipulation de l’information. C’est une loi fondatrice dans ce domaine, selon Naïma Moutchou, députée, rapporteure du texte. C’est la première du genre. Elle fournit les premiers outils. Le droit aujourd’hui ne couvre pas tous les angles morts. Il fixe des règles pour les actions en diffamation et la procédure de fausse nouvelle qui date de 1881 . Mais celles-ci ne permettent pas de couvrir toutes les situations.. C ‘est pourquoi la loi crée un nouveau mécanisme : un nouveau juge des référés qui interviendra dans un délai de 48 heures, en période électorale, uniquement dans les élections à enjeu national, pour stopper la diffusion de fausses nouvelles. Le cadre du juge des référés sera donc délimité, très circonscrit, il n’interviendra qu’en cas de diffusion massive et artificielle de fausses informations. Il s’agit de lutter contre les systèmes robotisés, contre « les fermes à clics » et les « bots « ,par exemple. Les « fermes à clics », souvent installées dans des pays en voie de développement, sont des lieux secrets où les travailleurs, payés une misère, sont charger de liker, de rédiger de faux avis ou de cliquer sur une application pour lui permettre de remonter dans le classement de l’Apple store ou du Google Pay. Les « bots »sont des interlocuteurs qui sont en réalité des robots.
Le juge des référés intervient uniquement si la fausse information est de nature à altérer le scrutin et si elle est diffusée de manière intentionnelle, c’est à dire avec la conscience qu’il s’agit d’une fausse nouvelle.
La loi contraint les plateformes à être plus transparentes. Elles devront donner l’identité des annonceurs qui les payent pour avoir des publicités et annoncer le montant de la rémunération. La loi sera un moyen de forcer les plateformes à mettre à disposition les données qu’elles possèdent et qui permettront de savoir de quoi on parle. Aujourd’hui, faute de données, il n’est pas possible de faire des études d’impact ni des études de propagation sur les réseaux.
Elles devront aussi, de manière permanente, avoir un représentant légal basé en France, c’est important, car très souvent elles sont installées à l’étranger.
La loi prévoit de développer des chartes avec les plateformes dans un but de coopération et de comportement honnête.
Plus récemment, après plusieurs mois d’audition, la commission d’enquête du Sénat rend un avis très critique contre l’application d’origine chinoise TikTok . La défense des représentants français n’a pas convaincu. La commission d’enquête appelle le gouvernement à envisager la suspension de celle-ci au non de la sécurité nationale. Malgré quatre mois et des dizaines d’auditions , les sénateurs s’alarment de l’opacité persistante autour du réseau social devenu un phénomène de société. L’initiative consistant à laisser un tiers contrôler les transferts de données et les mises à jour des algorithmes de son application a été jugée pour le moment dilatoire. TikTok ne dit pas le nom de l’éventuel partenaire européen qui serait son garant. Le rapport envisage plusieurs mesures qui feront l’objet d’une proposition de loi ,dont notamment, l’obligation de limiter l’utilisation de l’application à une heure par jour pour les mineurs . L’éventuelle suspension du service utilisé par plus de 15 millions de français restera à l’initiative de gouvernement, voire de la Commission européenne, en vertu de la nouvelle réglementation européenne, le Digital Service Act. TikTok est déjà interdit sur les smarphones professionnels dans de nombreux pays européens, dont la France . Pour les sénateurs, elle devrait être proscrite sur les appareils des collaborateurs dans les 1000 administrations et entreprises désignées par l’Etat et déjà soumises à des exigences particulières de cybercriminalité.
##. Alors , reste une piste sérieuse : éduquer à l’usage d’internet. Comment former les jeunes, et les moins jeunes, à une utilisation avertie des plateformes ?
Identifier les dangers, les nommer, les isoler, est une première salutaire. Apprendre à s’en prémunir en est une seconde. La lutte n’implique pas que l’Etat. Elle concerne chacun de nous, en famille, à l’ecole, au lycée. L’éducation au bon usage d’internet fait aujourd’hui pleinement partie du combat démocratique. Il faut le mener de façon résolue.
La question qui mérite d’être posée est de savoir pourquoi des citoyens a priori intelligents peuvent croire à des affirmations totalement infondées, interroge Natacha Polony . Comment des individus à peu près éduqués peuvent croire à ce genre de choses sans aller chercher les sources de l’information ? Pour elle, les sociétés démocratiques mettent en avant les droits individuels qui deviennent leur fondement au point de rendre impossible l’imposition de règles communes mais aussi les vérités universelles . Ce n’est plus la rationalité qui prévaut . Les individus ont alors tendance à croire ce qui va dans le sens de leurs préjugés . Ils n’entendent plus le discours inverse . Pour Natacha Polony, sans doute , pour y répondre il faut remonter à la défiance à l’égard des médias qui s’est emparée des citoyens.
c’est tout le travail de l’Education de lutter contre cette tendance naturelle . La solution est sans doute dans la remise en avant de la rationalité dans la confiance.
Natacha Polony invite, aussi, à ce poser la question du rapport entre l’individuel et le collectif . Comment on peut forger une communauté politique à partir de gens ayant des origines, des cultures, des opinions différentes. Cela ne peut fonctionner que si chacun se prête à la confrontation, au conflit civilisé. Or nous sommes dans une société qui interdit le conflit civilisé et ne peut donc aller que vers un conflit non civilisé.
L’Education est certainement une piste sérieuse . Comment protéger les enfants d’une attirance qui peut s’averer dévastatrice ? Comment donner sa juste place à un outil devenu incontournable , sans pour autant en devenir esclave? Le tiers du temps de loisirs est aujourd’hui employé l’usage des messageries et des réseaux sociaux.
Qui croire sur les réseaux sociaux ? Comment décoder le vrai du faux à l’heure de la propagation de vérités alternatives ? Comment distinguer des contenus produits par des individus et ceux fournis par de l’intelligence artificielle ? C’est pourquoi il est essentiel de faire de l’Education aux réseaux sociaux une priorité et d’accompagner les plus jeunes dans leur rapport aux écrans et aux méthodes de vérification de l’information. Apprenons à décrypter les algorithmes pour éviter les phénomènes de bulles et de polarisation.
Les autorités de l’Education nationale portent une énorme responsabilité dans cet apprentissage . Il faut absolument instituer l.obligation de confronter les enfants, par un enseignement raisonné, critique, non pas à l’Education par les médias, mais à l’Education aux médias. Il faut leur expliquer, avec des exemples à l’appui, qu’il faut toujours contrôler ce qu’on lit. La piste éducative de nos enfants est la plus sérieuse.
IL est nécessaire d’introduire dans les programmes scolaires un apprentissage permettant aux plus jeunes de reconnaître une fausse information,d’appréhender les réseaux sociaux et leur fonctionnement, de développer un sens de l’autocritique. Ce travail serait en cours paraît-il. Des ateliers sont expérimentés dans quelques établissements scolaires. De très nombreux enfants de 9 ou 10 ans ont aujourd’hui un téléphone portable en accès libre sans contrôle parental, y compris parfois la nuit ils s’informent beaucoup sur internet, ils échangent constamment entre eux, en dehors de tout contrôle, contrôle des parents ou contrôle des enseignants. C’est donc une vrai question . Un gros travail doit être engagé rapidement.
Sciences Po a placé les transitions numériques au cœur de ses enseignements et de son travail de recherche et cherche à construire et à enseigner une éthique du débat, indispensable à une pratique démocratique apaisée. Il faut aiguiser l’opinion des jeunes et renforcer leur maturité politique
##. Conclusion.
Que nous le voulions ou non, nous entrons dans une ère nouvelle. Ou mieux nous sortons de la préhistoire dans le domaine de la communication et de l’information, comme la découverte de l’imprimerie l’a fait au début des temps modernes .
A L’heure ou le monde est bouleversé par le numérique. Il n’y a aucun domaine des enjeux contemporains qui échappe au dérèglement qu’entraine la démultiplication du virtuel. La révolution en cours nous conduit à réinterpréter des principes essentiels dans une société démocratique, le droit à l’information, la liberté d’expression, le droit à la vie privée, le droit d’auteur, le droit à l’image , au regard des nouveaux enjeux, liés à la diffusion massive, aux mécanismes d’influence ou à l’économie de la donnée.
Autant de questions de pleine actualité et porteuses d’enjeux essentiels qui animent aujourd’hui le paysage intellectuel et politique de notre pays et du monde
Questionnés, ces principes n’en sont pas pour autant dépassés, car leur valeur est intemporelle. Ces principes doivent continuer à servir de phares aux législateurs, aux régulateurs, aux entrepreneurs et aux usagers .
C’est la condition pour que les réseaux sociaux, sortis de la promesse utopique des premières années , ne se muent pas en dystopie, une société fictive sombre et dangereuse à laquelle il serait impossible de lui échapper.
Au terme de cette analyse, nous constatons que nous sommes tous impliqués dans la construction du futur. Et donc chacun de nous, y compris ceux qui bâtissent les fondations technologiques de notre société, doit se poser cette question : quel monde allons nous laisser à nos enfants ? Quel impact aura sur nos descendants les décisions et les choix que nous prenons et faisons aujourd’hui ? Mais pour reprendre une formule de Florian Douetteau, un mathématicien créatif et imaginatif, qui propose que plutôt que de nous interroger sur le futur que nous allons laisser à nos enfants , ne serions nous pas obligés de nous demander quels enfants nous allons laisser au futur, des enfants hyperconnectés, dans un monde hyperconnectés où l’IA générative, les agents conversationnels et le virtuel occupent déjà une place de plus en plus grande . Et interroge t-il, ne serions nous pas à la préhistoire d’un nouveau monde qui verrait émerger une nouvelle Renaissance et ouvrir la voie à un nouvel humanisme ?
Mais comme le dit Jean-Pierre Chevenement, nous cherchons la vérité, sans être sûrs de la trouver ? Entre la dystopie et une nouvelle Renaissance ou un nouvel humanisme, où est la vérité ? Rien n’est sûr. Mais l’histoire n’est pas finie.